Le visible et l'invisible

Depuis La Dernière Etape, toute première fiction sur Auschwitz tournée en 1947 dans le camp lui-même par Wanda Jakubowska, jusqu’au Fils de Saul de Laszlo Nemes en 20l5, et La Conférence de Matti Geschonneck en 2023, le cinéma n’a cessé d’affronter l’événement des camps et du génocide, de construire et de diffuser les images d’une réalité en grande partie privée d’images. Ignorant l’interdit fondé sur le motif métaphysique de l’irreprésentable, dont Claude Lanzmann s’était fait le gardien sourcilleux, de nombreux réalisateurs ont délibérément choisi de répondre à un désir de voir dont le caractère problématique, et les questions qu’il soulève, se trouvent au cœur de toute réflexion sur les rapports entre cinéma et histoire. C’est ce désir de voir, la façon dont le film de Jonathan Glazer le provoque et l’organise, le dirige et le met à l’épreuve qui est au cœur des choix esthétiques, éthiques et politiques du réalisateur. Il faut donc décrire le plus exactement possible ce que ce film montre, les techniques cinématographiques qu’il met en œuvre, et s’interroger en même temps sur l’acte de voir, sur ce que cet acte entraîne comme rapport au savoir et à l’imagination, sur les risques qu’il comporte. La Zone d’intérêt, au fond, permet de poser cette question essentielle : à quelles conditions voir peut-il nous aider à mieux savoir notre histoire ?

Déplacement du regard

Jonathan Glazer a fait le choix de reconstituer la vie familiale de Rudolf Höss, commandant de la « zone d’intérêt » d’Auschwitz, sur les lieux mêmes où cette vie s’est déroulée : la villa qui jouxte le camp principal (Auschwitz I). Alors que la plupart des films de fiction s’intéressent principalement aux victimes, les transforment en « personnages » d’un drame dont ils ne comprennent ni le sens ni le fonctionnement (avec tous les risques que cette dramatisation comporte :…

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Auteur: dev