L’Élysée, palais infernal des Français ?

« Un palais de la main gauche, palais à femmes », ronchonnait le général de Gaulle en s’installant à l’Élysée en janvier 1959. Et il ajoutait : « Cette maison est trop bourgeoise, l’esprit n’y souffle pas. »

Aux yeux du militaire qu’était de Gaulle, cet hôtel particulier transformé en palais républicain ne présentait pas la solennité et l’austérité nécessaires pour incarner la grandeur de la Nation. Par ailleurs, il le trouvait trop enclavé dans le faubourg Saint-Honoré et peu fonctionnel avec ses enfilades de salons exigus et surchargés de dorures. Aussi envisagea-t-il très sérieusement d’installer ailleurs la présidence de la République, par exemple aux Invalides, à l’Ecole militaire ou au château de Vincennes, dont la majesté reflétait le tragique du récit national.

Ce n’est donc qu’à regret qu’il accepta d’emménager à l’Élysée, au nom de la continuité de l’histoire républicaine, qui avait vu défiler entre ses murs tous les présidents depuis Louis-Napoléon Bonaparte.

Un palais des plaisirs

Au fond, ce qui fait le secret de l’Élysée, son attractivité presque mystérieuse, n’est-ce pas précisément qu’il se rattache à une histoire bien antérieure à celle de la République ? N’est-ce pas précisément la nostalgie de l’ancien régime qui lui donne tant de valeur dans un système politique profondément imprégné par l’image du pouvoir personnel et de la monarchie républicaine ?

Rappelons d’abord que ce palais républicain fut d’abord l’hôtel particulier d’un aristocrate du XVIIIe siècle, le comte d’Évreux, qui le fit édifier en 1720 pour se hisser au rang des plus Grands du Royaume, parce qu’il était de noble lignée.

Madame de Pompadour (1721-1764) peinte par François Boucher (1703–1770).
François Boucher/Wikimedia

Ce fut donc à l’origine un palais des plaisirs, l’une des plus belles demeures aristocratiques du faubourg, et c’est la raison pour laquelle Madame de Pompadour se le fit offrir en 1753 par le roi Louis XV qui ne pouvait rien refuser à son ancienne maîtresse, devenue sa principale conseillère.

Et il est intéressant de rappeler que dès cette époque l’hôtel de « la Putain du Roi », née Jeanne Poisson, apparut à la population environnante comme un symbole insupportable de l’arrogance des privilégiés. Sur les murs du quartier, on pouvait lire :

« Fille d’une sangsue et sangsue elle-même,/Poisson, dans ce palais, d’une arrogance extrême,/Fait afficher partout, sans honte et sans effroi/Les dépouilles du peuple et l’opprobre du Roi. » (Quatrain fait par M. de Rességuier, chevalier de Malte, enseigne à pique dans le régiment des gardes françaises.)

C’est ainsi que dès son origine, le futur palais républicain apparaissait comme un emblème répulsif du pouvoir absolu.

De…

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Auteur: Jean Garrigues, Historien, Université d’Orléans