L'émeute, une phénoménologie de la masse

En écho à l’éloge de l’émeute de Jacques Deschamps que nous interviewions la semaine passée, une lectrice nous a transmis ces extraits du « Flambeau dans l’Oreille » d’Elias Canetti. L’anthropologue y raconte son expérience fondatrice de l’émeute et de la foule, le 15 juillet 1927 à Vienne. Rassemblés à la suite de l’annonce, la veille, de la relaxe des trois miliciens fascistes responsables de la mort d’un ouvrier croate et d’un enfant de huit ans à Shattendorf, les manifestants sont d’abord repoussés des abords de l’Université, puis de ceux du Parlement, vers le palais de Justice de la ville, qui sera incendié. Les forces de police tireront sur la foule, tuant 89 personnes.

Dans son autobiographie, Le Flambeau dans l’Oreille, Canetti s’est attaché à raconter, observer, comprendre « la masse » sous tous ses aspects. Il en a tiré une anthropologie à la fois sombre et dynamique, d’un pessimisme abyssal, où tous les sens sont mobilisés. Un récit intime, vif et animé, qui se conjugue au pluriel comme au singulier.

Le matin du 15 juillet 1927, je n’étais pas comme d’habitude à l’Institut de Chimie de la Währingerstrasse, j’étais resté chez moi. Je lisais la presse du matin au café de Ober St. Veit. Je sens encore l’indignation qui m’envahit lorsque j’eus entre les mains le journal « Die Reichspost » : il y avait une énorme manchette : « Un verdict justifié ». On avait tiré dans le Burgenland . Des ouvriers avaient été tués . Le tribunal avait acquitté les meurtriers. Ce jugement était donc qualifié de « justifié » ou plutôt claironné comme tel par l’organe du parti gouvernemental. Ce fut cette manière de se moquer de tout sentiment de justice plutôt que le jugement lui-même qui provoqua une immense émotion chez les travailleurs viennois. De tous les arrondissements de la ville, les ouvriers affluèrent en cortèges serrés vers le Palais de Justice ,…

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Auteur: dev