L'entraide entre voisins, un monde de rituels oubliés

Celia Izoard, journaliste, est coauteure de La Liberté dans le coma : Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer (Groupe Marcuse, La Lenteur, réed. 2019) et a traduit et préfacé 1984, de George Orwell (Agone, 2021). Elle est aussi chroniqueuse pour Reporterre.


Avec un groupe de voisins et voisines, depuis plus de dix ans, on se réunit une journée par mois pour donner un coup de main à l’un ou l’une d’entre nous. Ça peut être n’importe quoi : évacuer des gravats, isoler des combles, déménager, débroussailler un terrain, poser un carrelage, enduire des murs, décaisser un sol, réparer une voiture.

À midi, la personne qui reçoit a préparé un repas pour tout le monde, on se détend et on en profite pour voir qui a besoin d’un chantier le mois suivant. Nous sommes souvent une dizaine. Sur place, chacun·e choisit son poste, tourne selon les besoins, travaille avec les personnes avec qui elle a envie de discuter ce jour-là. Ces chantiers ne nécessitent ni argent, ni association, ni site internet, ni liste mel — quelques coups de fil suffisent à rappeler le rendez-vous. Ils sont aussi une manière d’entretenir l’amitié.

Le groupe se recompose au fil du temps. Certains emménagent dans des appartements et ne voient plus quoi demander, mais continuent à venir pour le plaisir de contribuer. Il y a de nouveaux voisins, des gens qui croulent sous une montagne de travaux chez qui on décide d’aller plus souvent. Certains jours, d’autres passent juste pour faire des blagues pendant le repas. On se relaie pour s’occuper des enfants.

Une fois, nous avons construit un poulailler dans la neige. Un jour d’été brûlant, nous avons fait les cantonniers pour des amis qui vivent tout au bout d’un chemin de terre qui devient impraticable quand il pleut ; on a décaissé pour aplanir sur plusieurs centaines de mètres, enlevé des gros cailloux et remblayé avec du sable. Il y a des gens particulièrement organisés qui arrivent à prévoir plusieurs chantiers dans la même journée : trois personnes pour abattre un mur, deux pour refaire un muret, trois autres pour couper le bois.

Disparition dans le langage ordinaire

Cette pratique d’entraide communautaire semble avoir existé dans la plupart des sociétés humaines. On la croise dans les livres d’anthropologie, par exemple chez les peuples des forêts indiennes : « Cette forme d’échange entre foyers, une pratique courante chez les Adivasi, s’appelle madaïti (“aide”). Les Adivasi s’entraident pour construire leurs…

La suite est à lire sur: reporterre.net
Auteur: Reporterre