« L’envers des mots » : Silencier

« Réduire (qqn) au silence. Silencier et invisibiliser les minorités. Faire taire (qqch.). Silencier nos désirs. » Voilà la définition que donne le dictionnaire Le Robert au terme silencier. Cette entrée fait écho à ce qui a été plus communément appelé « la libération de la parole » au moment du mouvement #MeToo. Repris de manière virale fin 2017, ce hashtag a déclenché un mouvement massif de dénonciations de violences sexuelles qui s’est étendu à de nombreuses sphères et catégories de victimes (comme avec le #MeTooinceste).



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Nombre de chercheuses et d’activistes soulignent que par ces dénonciations massives, c’est l’écoute sociale accordée aux violences vécues qui s’est ouverte. Le terme silencier vient souligner la nécessité de conditions d’écoute bienveillante et bien informée pour que la parole puisse s’exprimer.

Lorsque cette parole advient mais se trouve minimisée ou niée, on assiste à ce qu’on appelle « revictimisation » ou « victimisation secondaire ». Ce phénomène touche d’autres types de violences, racistes, homophobes, transphobes. La question des violences sexuelles, fortement médiatisée et reconnue comme légitime, permet d’illustrer ce processus transposable à d’autres situations.

Silencier une victime, c’est la ou le réduire au silence de diverses manières : il ne s’agit pas nécessairement d’une censure menaçante, mais d’une absence d’écoute ou d’une écoute qui n’a pas le positionnement adéquat, par manque d’impartialité (proximité personnelle avec l’agresseur présumé) ou de formation. Les témoins peuvent également être « silencié·e·s » quand parler entraîne des préjudices (plainte pour diffamation, risque d’ostracisation dans son cercle professionnel ou personnel).



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En pratique, le risque de revictimisation pointe la nécessité de la sensibilisation à une échelle générale, et de la formation des écoutant·e·s aussi bien que des encadrantes et encadrants dans les institutions publiques amenées à recevoir des témoignages.

On pense spontanément à la police et aux questions qui peuvent décourager une victime de viol de raconter son expérience – comment était-elle habillée, avait-elle consommé de l’alcool – en la renvoyant à une culpabilité implicite de sa part.

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On peut évoquer le rôle d’autres institutions, comme les Universités. Les recherches menées sur les appropriations des étudiantes du problème des violences sexistes et sexuelles montrent que celles-ci se méfient des institutions mais somment celles qui leur sont le plus proches, comme l’Université, de prendre ses responsabilités. Les institutions peuvent apporter une reconnaissance du préjudice subi, par la voie pénale et/ou disciplinaire.

Toutes les institutions publiques sont tenues depuis un décret de mars 2020 de mettre en place une cellule de signalements pour toute forme de harcèlement, violence ou discrimination. La manière dont ces dispositifs peuvent fonctionner de manière confidentielle et impartiale est actuellement un enjeu crucial. Si cet enjeu est visible pour les affaires qui frappent ceux des partis politiques qui sont dotés de ces cellules, il touche actuellement le service public dans son ensemble.



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« Silencier » renvoie de manière plus large à la domination symbolique qui consiste à priver les personnes dominées de parole et de récit sur soi. C’est au tournant des années 1960-1970 que cette réappropriation de la parole permettant de se réapproprier soi-même et son corps a éclos dans les mouvements féministes : les groupes de conscience non mixtes ont ainsi permis de rendre collectifs des problèmes qui apparaissaient comme privés et individuels, tels que les violences mais aussi la sexualité non procréative.

Ces groupes ont agi comme des lieux de politisation de sujets qui paraissaient relégués à l’intimité. On…

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Auteur: Viviane Albenga, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Bordeaux Montaigne