Il y a maintenant des jauges, dans l’amitié.
Il est 4h, à peine. Cette pensée me réveille, avec des bruits dans les tuyaux du radiateur, qui part en vrille. Je n’ai pas été invitée à l’anniversaire d’une amie hier soir, et c’est ça qui me réveille et qui me fait honte à penser. J’ai honte d’avoir de telles pensées, mais je considère ma honte, parce que c’est peut-être un sentiment humain intéressant à observer en ce moment, je me dis. La honte pour commencer. La honte à presque 40 ans d’éprouver de la tristesse à ne pas être invitée. La pensée ridicule d’un enfant. Le ressenti minable de l’exclusion. Je me l’attribue. L’autre nuit, à l’inverse, j’ai rêvé que j’hébergeais toute une famille dans l’appartement de mon enfance. Il y avait un problème de place à Paris, les gens ne savaient plus comment se loger, et dans le rêve c’était une pratique, on échangeait les appartements et les familles, pour se dépayser, à la place de prendre des vacances, comme ça pour le week-end. Les jauges dans l’amitié viennent de la situation qui fait qu’on ne s’invite pas à nombreux chez soi ; dans ce calcul se glissent des préférences affectives. On choisit parmi les amis. On choisit aussi aujourd’hui dans les hôpitaux, parmi les malades. Je choisis les gens que je veux voir, et qui j’expose au péril. On croit pouvoir maîtriser l’expansion du sentiment. On refoule un maximum les vœux de mort inconscients. Je prends soin de ceux que j’aime. Je vois moins mes amis avant d’aller voir ma mère. Je mets en place une sorte d’hygiène sociale autonome, je prends la responsabilité de ces décisions, je suis sur la crête de la compliance et de l’auto-discipline, de la complaisance et de la collaboration. Je crois maîtriser quelque chose, et cette maîtrise est en même temps la condition de la survie des autres et de l’exercice de ma croyance sur le monde. Chacun se débrouille avec ça, cette terrible éthique du quotidien qui nous tient en vie et nous donne un pouvoir sur elle. Le pouvoir trop grand pour lui d’un enfant qui éteint le feu en faisant pipi. Il n’y a pas d’autonomisation subjective de la pandémie qui ne s’allie à des micro-fascismes, à des endogamies, à des entropies. La société se forme par cercles, sélections et préférences, de fait, jusqu’au bout de la chaîne – et je choisis aussi les films que je regarde sur les plateformes. Si je refuse de l’attribuer à une autorité extérieure, puisque c’est moi-même qui prend acte du…
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Auteur: lundimatin