« Les atteintes au corps des femmes sont considérées comme secondaires et leurs maux imaginaires »

Basta! : Dans votre dernier ouvrage « Le deuxième corps », vous expliquez que les problèmes de santé des travailleuses sont peu étudiés, car les risques qu’elles encourent sont souvent considérés secondaires. Le corps des hommes reste l’unité de mesure principale pour étudier la santé, y compris la santé au travail. Pouvez-vous revenir sur cette invisibilité du corps des femmes au travail ?

Karen Messing : L’expression « deuxième corps » renvoie au fait que la conception des espaces, des outils et des équipements de travail a été faite en fonction des corps masculins, qui étaient pendant longtemps les seuls à occuper la plupart des espaces de travail rémunérés. Aujourd’hui encore, sur le marché du travail, le corps des femmes est souvent considéré comme le « deuxième corps » : différent, anormal, inférieur en taille et en force. Dans le monde de la recherche scientifique, les atteintes au corps des femmes ont souvent été considérées comme des problèmes « secondaires ». Le domaine de la santé au travail n’y fait pas exception.

Karen Messing

Karen Messing est professeure émérite du département des sciences biologiques de l’université du Québec à Montréal (UQAM), où elle a cofondé le CINBIOSE (Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement). Elle est l’auteure de La santé des travailleuses. La science est-elle aveugle ? (Remue-ménage, 2000) et de Les souffrances invisibles. Pour une science du travail à l’écoute des gens (Écosociété, 2016).

D’un point de vue ergonomique, il n’y a pas beaucoup de données sur le corps des femmes, même les plus élémentaires. Quand je cherchais les dimensions corporelles des os des femmes, je n’ai trouvé que celles de l’armée canadienne, datant de 1998. Je me suis donc retrouvée avec un échantillon atypique, de jeunes femmes blanches, en bonne santé. Cette absence de données invisibilise réellement les femmes. C’est brillamment démontré dans l’ouvrage Les femmes invisibles de Caroline Criado Perez, qui relève que les femmes ont 73 % de plus de probabilité d’être sérieusement blessées dans un accident de voiture parce que les mannequins utilisées pour faire les tests de sécurité sont calquées sur le corps des hommes. Et je précise que les femmes ne sont pas simplement plus petites, elles ont le haut du corps proportionnellement plus long que celui des hommes, leur centre de gravité est donc différent.

« Pour les évaluations…

La suite est à lire sur: basta.media
Auteur: Nolwenn Weiler