Les demeurés de la « légitimité »

Camillo Miola. — « L’Oracle », 1880.

Ça se passe sur France 5, chaîne de l’exigence du service public, a fortiori en fin de soirée, dans une émission de débats distinguée et policée. On parle du mouvement social. Nicolas Framont tente d’expliquer que le vote n’est pas la source unique de toute légitimité politique. Évidemment c’est peine perdue. Enfin pas complètement : il y a au moins du spectacle. Car c’est une fête de l’esprit. À part le vote, « il n’y a pas d’autre possibilité », et d’ailleurs « c’est comme ça » : d’un coup d’un seul, Laure Adler a lâché tout ce qu’elle avait. Et ça a donné ça.

Cependant Framont persiste. Le vote n’est qu’une des voies de dévolution de la légitimité, il y en a d’autres, et la contestation sur les retraites peut, elle aussi, en revendiquer une. Un plan de coupe assassin nous montre Laure Adler superposant sentiment de l’évidence offensée et grommellement d’incompréhension. En fait c’est trop pour elle, sa pensée commence à partir en béchamel. On lui propose un autre monde mais au prix de l’erreur-système ; on zoomerait sur ses yeux, on verrait les sabliers bloqués.

L’isoloir sinon rien

Il n’est pas un lieu de l’éditocratie où cette pensée ne soit vérité d’évangile : le vote à l’isoloir comme horizon indépassable de la « démocratie ». On comprend assez bien pourquoi : le vote, prétendument moyen de la participation, est en fait l’instrument de la dépossession, et rien n’est plus important que de préserver le magistère des dépossesseurs — les éditorialistes notamment qui, se croyant gouvernants des opinions, s’identifient imaginairement aux gouvernants tout court. Et puis le vote, c’est la compétition électorale, la tambouille partidaire, les sondages, les alliances, les trahisons, les combinaisons, « les égos », les coulisses pour « informés », les sources et les confidences, le paradis du journalisme dinatoire — le vide et l’insignifiance. Il y a peu de médias où le « service politique », lieu supposé de l’élite locale, généralement vivier à futurs éditorialistes, ne soit un concentrât hors pair d’indigence intellectuelle.

Lire aussi Serge Halimi, « Un homme contre un peuple », Le Monde diplomatique, février 2023.

Logiquement, depuis l’éditocratie, Macron est pleinement légitime puisqu’il a été élu (peu importe comment). Il a donc titre à faire tout ce qu’il veut — et notamment à…

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Auteur: Frédéric Lordon