« Les éboueurs ne sont vus que lorsqu'ils font grève »

Delphine Corteel, sociologue et anthropologue, est maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Reims Champagne-Ardenne, chercheuse au laboratoire Regards et affiliée au Ceet. Elle est la codirectrice, avec Stéphane Le Lay, du livre « Les travailleurs des déchets » (éd. Erès, 2011). 

Reporterre — Depuis le 6 mars, une grève des éboueurs a lieu dans plusieurs villes. À Paris par exemple, plus de 5 000 tonnes de déchets sont entassées dans les rues. Que disent ces monticules de poubelles de notre modèle productiviste et consumériste ? 

Delphine Corteel — Cela montre deux choses : d’une part, au début du XIXe siècle, nous nous sommes mis à collecter les déchets au moment où l’on n’utilisait plus les rebuts comme des matières premières secondaires. Ces ordures dans les rues disent donc des choses de notre usage des ressources. 

Par ailleurs, depuis qu’on les collecte, la quantité de déchets n’a cessé d’augmenter. Cela est lié à la fois à l’augmentation de la population, mais aussi à celle de la production d’objets et de biens. Ce que l’on jette est in fine l’envers de ce que l’on consomme et de ce que l’on produit. Nous vivons dans une société de production et de consommation de masse, mais aussi, en un sens, de poubellisation de masse. Aujourd’hui, on essaie de réinjecter l’économie circulaire dans un système qui, fondamentalement, n’est pas pensé comme tel, et qui au contraire est pensé sur la production, la consommation, la destruction. Cette grève montre bien la limite de ce modèle.

Si la réforme des retraites est adoptée, les éboueurs verront l’âge de leur retraite reporté à 59 ans contre 57 sans bonification aujourd’hui. Or un cadre a une espérance de vie supérieure de six ans à celle d’un ouvrier

Cette réforme relève d’une injustice très forte, car les travailleurs subalternes ont en effet une espérance de vie moins longue que celle des cadres. Ce sont donc des groupes sociaux qui, si cette réforme passe, profiteront encore moins longtemps et en moins en bonne santé de leur retraite. D’autant qu’il faut replacer les éboueurs dans l’ensemble du groupe ouvrier : ils exercent un métier particulièrement dangereux, avec des risques très importants, liés à la manipulation des containers par exemple. Il s’agit d’une profession où les accidents du travail sont beaucoup plus nombreux que dans d’autres secteurs. En l’état actuel des choses, les éboueurs sont donc déjà des personnes qui arrivent à la retraite abîmées par leur travail. 

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Auteur: Amélie Quentel Reporterre