Cet article est publié en partenariat avec la Revue Salamandre.
Lac du Der-Chantecoq (Grand Est), reportage
La voix grésille à chaque arrêt : « Prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai. » Soupir, retour à la civilisation. Ventilation, valise grinçante, sifflement de nez, le moindre bruit me rappelle les notes roulées de la grue cendrée. La nostalgie m’envahit. Ce son inoubliable m’a transportée dans un monde parallèle le temps de deux journées en Champagne-Ardenne…
Rembobinons. Cet après-midi de février, la voie cyclable au départ de Saint-Dizier défile depuis quarante minutes entre trois autoroutes. À gauche, un canal dans son corset de béton. À droite, une file de voitures à l’heure de pointe. En haut, des avions militaires en exercice déchirant la grisaille dans un fracas assourdissant. Les Rafale ont-ils volé l’espace aérien et sonore aux oiseaux ? Pour l’instant, l’absence du peuple ailé est criante.
Avec la baisse de luminosité, le bal militaire s’arrête enfin. Bientôt, un son, le son, me décroche un large sourire. « Grrou krirr gruh ! » Une troupe de grues cendrées rangées en V, avec leur cou et leurs pattes étirés, survole les terres industrialisées dans la même direction que moi.
Peu après, sur la rive opposée du canal, j’aperçois une des leurs postée telle une statue grise de la taille d’un petit humain à l’orée d’un bois. Léger coup de frein, mains sur les jumelles et… trop tard, la gracieuse silhouette haute sur pattes s’est déjà envolée, en gaspillant sa précieuse énergie. Évidemment, la créature à la prudence légendaire a été plus maline que moi.
La piste bifurque et s’enfonce dans la forêt. Les lignes droites se muent en courbes organiques. La nuit glaciale est déjà bien installée quand je longe les eaux noires de l’immense lac du Der, accompagnée des cliquetis de la roue libre du vélo.
J’imagine la foule…
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