Les idées politiques des Lumières sont-elles réactionnaires ?

Dans nos représentations collectives, la philosophie des Lumières évoque bien souvent la rupture avec les structures traditionnelles de l’Ancien régime, une révolution dans la politique comme dans les mœurs, animée par des esprits brillants et indociles comme Voltaire ou Diderot.

Néanmoins, depuis l’affaire du foulard de Creil
en 1989 – qui a provoqué de très vifs débats sur la place des « signes religieux ostentatoires » à l’école, les idées des Lumières sont remises en cause, amendées ou rejetées, au grand dam des fervents défenseurs de l’universalisme républicain.

Imaginées il y a environ trois siècles, n’est-il pourtant pas naturel de prendre du recul sur leur contenu, peut-être mal adapté aux débats de notre temps ? À l’inverse, ne risque-t-on pas de briser les liens ténus qui unissent les citoyens français, en jugeant dépassés les quelques principes qui fondent et organisent la vie commune ? Les plus récents débats de société interrogent le statut particulier qu’occupent les idées politiques des Lumières dans la France contemporaine : fondamentalement critiques dans l’esprit comme dans la pratique, elles sont pourtant consacrées comme des piliers inamovibles de la culture nationale.

Les Lumières dépassées ?

Le 20 septembre dernier, le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye fustigeait l’indifférence de l’État français à la couleur de peau, une « belle idée » qui ne permettrait pas de s’attaquer efficacement aux « discriminations et différentes formes de racismes » qui existent en France. Cette déclaration est révélatrice du fossé qui sépare les attitudes à l’égard des questions raciales en France et aux États-Unis, où le ministre était invité à s’exprimer.

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Dans un pays si marqué par l’esclavage et les discriminations raciales (près de 20 % des Afro-Américains vivent notamment sous le seuil de pauvreté, contre 8 % pour les Blancs non hispaniques), il serait sans doute malvenu d’imaginer un État aveugle aux différences, dans la mesure où leur reconnaissance est perçue comme un préalable à la prise en compte de leurs difficultés spécifiques. À mesure que la société française se diversifie et rencontre des problématiques semblables, le modèle américain, déjà influent en matière de culture de masse, rencontre un écho particulier.

La laïcité est un autre exemple. Malgré les tentatives innombrables des entrepreneurs politiques pour en asseoir une définition précise, il n’existe aucun consensus dans la littérature scientifique. Différents modèles de laïcité se disputent en effet la légitimité à organiser les rapports entre l’État, les religions et la société. Parmi eux, le modèle français (qualifié de « laïcité républicaine ») articule la liberté de conscience avec la neutralité des institutions républicaines dont, notamment, l’école. Or l’influence du modèle anglo-saxon (qualifié de « laïcité ouverte ») conteste la nécessité de neutraliser l’espace public, et privilégie l’expression des libertés individuelles.

Une enquête réalisée par l’IFOP et la Fondation Jean Jaurès a mis en lumière les divergences observées entre les jeunes enseignants et leurs collègues plus âgés concernant le port de signes religieux ostensibles. Dans le contexte d’une mondialisation largement influencée par la culture anglo-américaine, les jeunes générations questionnent de plus en plus le bien-fondé d’un modèle jugé daté, et quelque peu isolé sur le plan international. La laïcité semble en effet Française avant tout, ou au moins d’inspiration française.

Le cas d’école féministe

Un affrontement similaire avait opposé les féministes dites « universalistes », opposées à la loi sur la parité en politique avec celles qui y étaient favorables. Le camp universaliste affirmait qu’on ne saurait reconnaître les femmes comme une catégorie sociale spécifique, sinon en rompant avec l’universalité de la famille humaine. C’est le mérite qui devait primer, en référence à l’article 6 de la Déclaration des droits de…

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Auteur: Thibaut Dauphin, Docteur en science politique, Université de Bordeaux