Les mots des patrons — Bernard GENSANE

Dans cette discussion, technique, ces deux personnes, unies comme les cinq doigts de la main, étaient dites par le discours dominant (Oswald Ducrot, Le dire et le dit), aujourd’hui celui du capitalisme financier. En effet, tout ce que nous disons (le dit) n’est – à de rares exceptions près – qu’une reprise, une paraphrase, un commentaire d’une superstructure qui nous dépasse, qui nous englobe, le dire. Toute énonciation étant polyphonique. Ici, la nageuse se retrouvait face à elle-même : si elle ratait son coup, la faute serait sienne ; si elle réussissait, une partie de son succès rejaillirait sur son entraîneur. Et puis, surtout, elle était victime d’un concept popularisé ad nauseam par le banquier éborgneur et emmerdeur lors de son dernier discours de campagne en 2017, de manière hysrérique dans la forme mais très réfléchie quant au fond : le projet.

Dans l’idéologie et la pratique du capitalisme financier, le projet a recouvert le programme. La gauche et une partie de l’extrême gauche ont été piégées par ce glissement. Or les deux mots ne sont nullement synonymes. Un projet, c’est « l’image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre » (Le Robert). C’est un travail préparatoire, une ébauche qui n’engage pas forcément son auteur. Un programme, c’est – si l’on se réfère à l’étymologie – ce qui est écrit à l’avance et qui annonce quelque chose de précis. Les gens de ma génération se souviennent des mois de lutte féroce, en 1972, entre les élaborateurs puis les signataires du Programme commun de la gauche, les communistes d’une part et les autres forces de gauche d’autre part, à propos du sens à donner à pratiquement chaque mot, chaque virgule, de ce programme qui engageait, liait, contraignait des gens qui devaient gouverner ensemble.

Pour plaisants qu’ils puissent être, les glissements sémantiques sont idéologiques et témoignent de l’aliénation des sujets. Á titre d’exemple, j’avais, il y a quelques années, disserté brièvement sur la portée idéologique, donc certainement pas innocente) de l’utilisation de l’adjectif « beau » au détriment de « bon » dans « belle journée », « bel après-midi », « belle année ».

Depuis une vingtaine d’années, le capitalisme financier a réussi une entourloupe de très grande envergure : imposer au peuple – sans douleur, sans contraintes apparentes – le sens qu’il donne aux mots (à des centaines de vocables), la plupart du temps en contradiction…

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Auteur: Bernard GENSANE Le grand soir