Les Nouveaux chiens de garde : Avant-propos à la troisième édition

Nous n’accepterons pas éternellement que le respect
accordé au masque des philosophes ne soit finalement
profitable qu’au pouvoir des banquiers.

Paul Nizan, Les Chiens de garde

La première édition de ce livre a été publiée il y a vingt-cinq ans. Un auteur est parfois tenté d’exagérer l’actualité de ses ouvrages précédents pour en justifier la lecture quelques décennies plus tard. Autant prévenir le lecteur que celui-ci s’inscrit dans un temps en partie révolu. Quiconque s’est habitué à l’atmosphère électrique faite de clans et de clashs des années 2020 peut à peine imaginer l’homogénéité idéologique des médias à la fin du siècle dernier et le ballet d’un quarteron de journalistes dominants évoluant sur la scène politique avec la docilité d’un « majordome anglais qui apporte des toasts beurrés au prince de Galles ». Tout ceci créait l’ennui, un sentiment d’enfermement d’autant plus puissant que le discours médiatique dominant reposait sur une base sociologique en voie de rétrécissement. Et que, déjà, le consensus néolibéral s’effritait. Un autre trait des années 1990 peut aujourd’hui paraître défier l’entendement : les journalistes jouissaient d’un certain crédit ; la plupart croyaient encore exercer leur magistère en toute indépendance. suggérer que les propriétaires des grands moyens d’information pouvaient vouloir orienter les contenus éditoriaux déclenchait donc des bouffées d’indignation vertueuses dont le lecteur se fera une idée en consultant l’annexe de ce livre.

Pourtant, mille raisons militaient déjà à l’époque contre cette illusion de liberté. La prise en main de Canal Plus et de ses chaînes satellites par Vincent Bolloré devrait l’avoir aujourd’hui dissipée. M. Bolloré rachète à tour de bras médias et éditeurs (Vivendi, Editis, Prisma), convoite Europe 1, Paris Match, Le Journal du dimanche, Le Figaro, taille dans les dépenses, écrase les grèves, épure les rédactions. Au mitan des années 1980, « Canal », créée à la demande de François Mitterrand, confiée au départ à l’un de ses proches, se voulait amusante, impertinente, plutôt destinée à un public qu’on n’appelait pas encore « bourgeois-bohème » – à la fois amateur de cinéma, de football et de pornographie.

Depuis que M. Bolloré y sévit, l’orientation éditoriale de la chaîne d’information du groupe s’est métamorphosée. i-Télé est devenu Cnews, a triplé son audience en offrant chaque soir l’antenne à Éric Zemmour…

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Auteur: Serge Halimi Acrimed