Les quatre crises qui ont façonné le « marché des dieux »

Nous sommes en l’an 70. Le temple de Jérusalem est à son apogée. Jésus le Messie qui voulait réformer la religion juive pour la rendre plus pure est mort depuis une quarantaine d’années. Ses successeurs, Jacques son frère, Pierre son apôtre et Paul son propagandiste le plus efficace sont également décédés tous les trois. L’aventure du groupe de ceux qui suivent le « rabbin » Jésus semble se terminer. Il représente peut-être quelques milliers de fidèles juifs au milieu d’une population en plein essor, celle des 4 à 6 millions qui habitent le pourtour de la Méditerranée, soit 6 à 8 % des 70 à 75 millions de personnes qui peuplent l’Empire romain d’est en ouest.

Vers la même époque, une partie des élites romaines est même tentée par cette forme de monothéisme qui leur paraît plus élaboré que la religion polythéiste traditionnelle. La religion juive était donc probablement sur le point de gagner une partie des esprits tout autour de la Méditerranée.

Alors, comment expliquer qu’un groupe juif ultra minoritaire devienne progressivement, entre le IIe et le IVe siècle de notre ère, un groupe dominant, celui des chrétiens ? Par quel cheminement l’invention réformatrice du judaïsme est-elle devenue une innovation de rupture, une « offre spirituelle » nouvelle, le christianisme ?

La reconstitution anthropologique de la diffusion du monothéisme proposée ici permet de comprendre par quel processus social une invention, qu’elle soit profane ou sacrée, émerge puis se diffuse pour finir par être acceptée ou refusée dans un milieu de réception qui lui est bien souvent éloignée culturellement, que cette invention soit technologique, servicielle ou organisationnelle. Elle souligne l’importance du rôle de contrainte que jouent les crises dans les changements de société.

Quatre crises joueront notamment un rôle clé dans le processus de passage du polythéisme au monothéisme : la crise du cuivre dans le monde méditerranéen (XVe-XIIe BCE, avant notre ère), celle de l’exil du peuple juif (VIe BCE), de la destruction du Temple de Jérusalem (70) et de la monnaie romaine (313). Elles vont à chaque fois transformer le « marché des dieux ».

1. La crise du cuivre et l’émergence de Yahvé au cœur du monde polythéiste

Entre le XVe siècle et le XIIe siècle avant notre ère, l’est de la Méditerranée voit l’effondrement des grands royaumes d’Égypte, d’Anatolie, de Mésopotamie et de la mer Égée qui serait due, suivant l’historien Éric H. Cline, « à une période de sécheresse à la fin du XIVe siècle qui entraîna de graves crises agricoles et des famines », qui à son tour entraînèrent une période « de guerre, de désordres sociaux et de vagues migratoires, » sans oublier une épidémie de peste et surtout un effondrement brutal de l’économie du cuivre, un métal central pour la vie quotidienne et la guerre.

L’économie du…

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Auteur: Dominique Desjeux, Professeur émérite en anthropologie, Université Paris Cité