Les ressorts cachés de notre dépendance à la surconsommation

Gobelet jetable, mouchoir en papier, smartphone, déodorant, vitrine… Ils sont omniprésents. Il n’y a pourtant pas si longtemps, nous faisions sans eux. Comment ? C’est l’exercice auquel se prête l’historienne Jeanne Guien dans Le consumérisme à travers ses objets (Divergences). Retraçant l’histoire de ces cinq objets emblématiques de la modernité occidentale, l’autrice met à nu les fondements de notre société consumériste, « dans laquelle acheter est une norme comportementale (une habitude du quotidien) mais aussi morale (quelque chose de valorisant) ». Bien qu’on tende à « les faire passer pour des choses sans passé, sans histoire, sans effets sociaux », ces objets — et bien d’autres — structurent notre monde, nos comportements, nos perceptions. On s’en sert comme des instruments, mais ils nous transforment en maillon de l’engrenage productiviste.

Ces objets ont inscrit au cœur du quotidien, au plus près de l’intimité, les nouvelles valeurs et manières d’être de la société capitaliste. À lire Jeanne Guien, on se rend compte à quel point des objets que l’on croyait banals ont historiquement été des agents actifs dans la promotion de l’idéologie libérale. Celle-ci repose en grande partie sur l’atomisation de la société, réduite à des individus. Or la plupart des objets qu’étudie la chercheuse favorise le repli sur soi. Ainsi, les health kups, ces gobelets en acier commercialisés outre-Atlantique dès 1912, s’attaquèrent en premier lieu aux fontaines publiques urbaines, accusées de propager les maladies.

Selon l’autrice, il faut donc envisager les objets jetables, tels les gobelets et les mouchoirs, comme un « dispositif d’individualisation de pratiques et de compartimentation sociale » évitant le mélange des classes, des races et des genres. Cette angoisse de la contagion — sanitaire comme sociale — affecte jusqu’aux corps, rendus dégoûtants par les campagnes publicitaires : c’est tout l’enjeu du déodorant, et encore plus celui en spray, qui « éloigne le sujet des manifestations honteuses de son propre corps ». À l’inverse, la jetabilité de ces objets encourage la mobilité individuelle, valeur fondamentale dans une société qui se rêve toujours active ; le gobelet jetable y tient une place de choix, car il manifeste « l’accessoire de corps en mouvement, requérant d’être entretenus, hydratés, énergisés, sans que cela ne leur demande d’attention ou d’effort, sans que cela ne leur prenne de temps ».

Pxhere/CC0

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Auteur: Maxime Lerolle Reporterre