Telle qu’on me l’avait racontée, l’histoire voulait que Jagger eut acheté son premier disque de Clifton Chenier à la fin des années soixante, dans un magasin de Greenwich Village, le quartier de New York. Mais au printemps dernier, lorsque nous abordâmes le sujet, Jagger m’assura qu’à l’époque il n’achetait pas ses disques au Village. Il était en fait client de Colony Records, le magasin de Midtown qui, m’assura-t-il, « était le plus grand de New York, celui qui proposait le meilleur choix ». Jagger avait alors un peu plus de vingt ans ; son enfance de petit banlieusard londonien, imprégné de blues étasunien, n’appartenait donc au passé que depuis peu. Je l’imaginai, qui faisait défiler les albums Chess et les 45 Tours J&B de ses doigts impatients, jusqu’au moment où lui apparut un disque 30 centimètres couleur chocolat noir – Bon Ton Roulet, l’album que Chenier sortit en 1967.
Sur la pochette, Clifton Chenier, encore jeune, porte un accordéon de plus de douze kilos, de la taille de son torse, et son visage affiche un grand sourire malicieux. « Bon Ton Roulet ! » est un classique du Zydeco (1), un aperçu idéal de cette musique Créole caractéristique des cinq paroisses situées au sud-ouest de la Louisiane, à l’intersection des Crossroads et de l’Acadiane, et dont le mélange de tradition française, de rythmes caribéens, et de rhythm ’n’ blues étasunien, invite à la danse. Elle différait du blues, qu’il fut du Delta ou de Chicago, au son duquel Jagger et les autres membres des Stones avaient grandi, avant de s’en inspirer sur leurs propres disques. Même si le Zydeco peut, à l’occasion, prendre la forme de valses françaises, plus lentes, son tempo soutenu – la fête est sa raison d’être – met en vedette l’accordéon, ainsi que le frottoir (2) – une planche à laver, accrochée aux épaules, qui recouvre le haut du corps à la manière d’un gilet. Avant de…
Auteur: Reya HART