L'éternité du désastre

Plutôt qu’un discours du désastre : désastre du discours. La pensée comme une bête en cage, un fauve malade, traqué, enragé, avec la langue qui n’en peut plus de tourner sept fois sept fois sept fois l’infini dans la bouche. Et surtout, une rupture : nous n’userons d’aucun mot d’ordre. Tout ce qui, jusqu’à présent, fut destiné à contraindre la poigne du pouvoir à se dessaisir des mots, des paroles, des discours, n’a abouti qu’à en raffermir la terrible emprise.

À ce sujet, le silence est impossible. Notre posture s’oppose en tout point à celle du suspect chez Kafka : « S’il s’agissait d’une comédie, il allait la jouer lui aussi. » Et ainsi la rendre valable.Il n’y aura nulle participation, et nul renoncement.De même que nous n’acceptons rien, nous nions tout. Nous pensons, parlons, écrivons contre, en un constant ressassement, comme on se cogne aux murs, comme on se heurte aux cognes.Il faut que le discours enfle comme un mauvais coup, qu’il agace comme une plaie qui saigne, ou qu’il se taise.L’écriture a ceci de commun avec l’architecture qu’elle consiste autant à édifier qu’à démolir. Mais contrairement à l’architecte, qui est hanté par tous les spectres du pouvoir, qui ne démoli et ne construit qu’afin de leur plaire – et tente ainsi de s’en approprier un peu de prestige – , le scribe n’est habité que par son impuissance, ne tend qu’à la désertion. Celui-ci, qui prit la pleine mesure de l’universel désœuvrement, jamais ne traça la moindre pensée. Afin de ne rien enfermer, afin de mieux disparaître. Et celui-là, qui écrivit des vérités terribles sur l’existence, demanda à son meilleur ami de tout brûler à sa mort.Il n’en fut rien ; et nous le lisons encore.Car l’écriture n’est jamais neutre. Constamment elle s’échappe, ou se fait dompter, et se laisse mourir. Ainsi en vient-on à peser les mots. Puisque le travail débute avec les mots ; et que les définitions imposent des fonctions ; et que les fonctions s’ouvrent sur des cassures.Certains s’emploient à tout replâtrer, constamment, à tout remettre à neuf, harmoniser, homogénéiser.L’écriture est à l’architecte ce que la force est au pouvoir. Et la phrase est au scribe ce que l’insomnie est au présent. Il n’y a pas d’évidence, seul règne l’incertain.De même qu’avec la barque apparaît le naufrage, avec le langage apparaît le mensonge ; avec la poésie apparaît l’injure ; avec la production apparaît la destruction. Il y a la belle…

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Auteur: lundimatin