Lettre à un ami ukrainien — Christophe TRONTIN

Cette guerre est pleine de paradoxes. Le pays qui vous frappe aujourd’hui est justement celui qui vous est le plus proche historiquement et géographiquement, le seul où l’on vous comprend et vous aime par tous ces millions de liens familiaux, professionnels, linguistiques, culturels. Ironie de l’histoire, c’est ce dernier pays d’Europe à commémorer comme il se doit la Seconde guerre mondiale et le seul conscient réellement de l’horreur absolue qu’est la guerre, qui a déclenché l’irréparable. Ce pays qui vous frappe est celui qui souhaitait le plus ardemment éviter cette guerre, celui qui l’a sentie mûrir au fil des années et a déployé toutes les ressources de sa diplomatie pour infléchir le cours de l’histoire et éloigner l’inévitable.

Bien sûr aujourd’hui il t’est plus doux de te mirer dans les trésors de commisération qu’on vous adresse depuis le chaud cocon européen, d’écouter les larmoyants trémolos de ces frères démocrates et leurs promesses d’aide administrative, d’espérer les armes qu’ils se promettent de vous livrer (à crédit ?) jusqu’au premier coup de canon russe dans leur direction. Tu sais, sans l’admettre, que vous ne représentez pour eux qu’une « immigration de qualité » dont ils espèrent « tirer profit ». C’est humain, vous vous accrochez aux déclarations de moins en moins tonitruantes de vos maîtres à penser d’Outre-Atlantique, ces pacifistes capables d’oblitérer sans ciller des pays entiers mais considérant comme la pire épreuve de leur histoire l’effondrement de deux immeubles. Tu le sais au fond de toi-même : vous n’êtes pour eux que l’arme qu’ils déchargent contre la Russie. « Guerre à la Russie jusqu’au dernier Ukrainien »… est-ce là votre ambition ? Votre intérêt ? Votre destin ?

Mon cher Oleksandr, tu le sais mieux que moi : ton pays paie aujourd’hui le prix dramatique de ses erreurs. Hélas, elles ont été nombreuses et ce prix sera élevé, car l’histoire est sans pitié. N’espérez rien de la chorale des Européens et Etasuniens qui interprète votre héroïque agonie comme une Chanson de Roland moderne. Votre descente dans l’enfer d’aujourd’hui a été longue. Et il n’a pas manqué en chemin de signaux avant-coureurs ni de sonnettes d’alarme.

Indépendants, vous n’avez pas su cueillir les fruits de votre indépendance. Pourtant des fées s’étaient penchées sur votre berceau : en 1991, vous étiez l’un des pays nouvellement indépendants les plus prometteurs. Le riche héritage…

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Auteur: Christophe TRONTIN Le grand soir