Lettre d'un jeune homme sans histoire à Pier Paolo Pasolini

Un lecteur de lundimatin nous a fait part de cette très belle lettre (ouverte) destinée à feu Pier Paolo Pasolini. L’auteur exprime une forme de désespoir liée à sa génération (« Nous, qui sommes nés à la fin des années 80, au début des années 90, avec la chute du mur et de nos rêves de révolution ») mais s’adresse à Pasolini pour se défaire de toute résignation et trouver chez lui « tous les visages et tous les corps qui échappent à la bourgeoisie et sauvent le monde de l’irréalité à laquelle il est promis ».

On ne saurait se situer au-dessus de son époque, mais il est possible de contribuer à la constituer comme objet de conscience commune, donc de la rendre effective, et ainsi d’en envisager l’abolition.

— G. W. F. Hegel

(tirant sur une gitane, au milieu des ruines, sous le ciel plombé de Berlin)

Caro Pier Paolo,

Je t’écris au nom de tous ceux qui, pour ne pas disparaître, doivent assumer d’aimer ce monde à leur manière, ingrate et merveilleuse : travailleurs improductifs, chômeurs, parasites, voyous au grand coeur, intérimaires, travailleurs flexibles, syndiqués et militants sincères, petit-bourgeois déclassés ayant appris à vivre en renonçant à leurs privilèges, etc.

Le capitalisme néolibéral, depuis ta mort, il y a 47 ans, a perfectionné sa langue. Mobilisant des technologies que tu n’aurais pu imaginer afin de mieux organiser le travail, de baliser l’errance. Clôture qui enrégimente l’entièreté de la société. Toute la société ? Non. Tu sais bien que tout ce qui vit a cette fâcheuse tendance à se débattre jusqu’au bout. Mais les doctrines de l’ordre, le retour opportuniste des vieilles valeurs clérico-fascistes et l’hédonisme marchand ont désormais fusionné au point qu’en France aujourd’hui c’est bien le parti néolibéral le plus assumé qui gouverne avec la droite raciste la plus décomplexée. Et la gauche ? Tu la connais, la gauche, elle n’a pas abandonné ses beaux idéaux progressistes, en refusant, toujours, de comprendre que le Progrès est le nom, en dernière instance, de ce désastre.

Au sein de la grande classe d’improductifs dont je fais partie, tu n’es pas sans savoir que nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne : certains se débattent pour survivre, d’autres pour donner une signification à leur existence ; certains vivent dans une précarité maîtrisée et choisie, d’autres n’ont rien choisi et tentent seulement de subvenir à leurs besoins les plus impérieux.

Les grands centres urbains…

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Auteur: lundimatin