Leur société et la nôtre — Frederic LORDON

« Évidemment ils se sont goinfrés comme des porcs ». « Ils », McKinsey. Le propos est « entendu de la bouche d’un homme au cœur du système ». On ne sait pas qui est l’homme. Mais on sait qui rapporte ses propos. C’est Jean-Dominique Merchet, éditorialiste bizarre, entendre : reconnu par la corporation « éditorialiste » quoique faisant souvent écart à sa ligne d’uniforme imbécillité. Ici la qualité du rapporteur rend plus difficile d’évacuer pour complotisme la véracité du propos rapporté — comme le ferait le premier Gilles Le Gendre venu ou le spécialiste du complotisme de France Inter. On tiendra donc pour raisonnablement assuré que : oui, comme des porcs.

On le tiendra d’autant plus que la porcherie McKinsey n’est en fait qu’une réalisation particulière de la porcherie générale qui a pour nom présentable « capitalisme néolibéral ». Le capitalisme néolibéral est cette forme d’organisation de la société qui a pour effet de la mettre entièrement à disposition de la jouissance d’une poignée de porcs — rassemblés sous le nom présentable de « le capital ».

Ici cependant, les choses deviennent un peu plus compliquées, notamment sous le rapport de ce qui se joue entre l’État et le capital. La vision usuelle du simple libéralisme plaçait les deux dans un rapport d’antagonisme : l’État fait prévaloir ses logiques propres qui ne sont pas nécessairement celles du capital, parfois lui sont contradictoires — l’État institutionnalise, réglemente, légifère même, bref contrarie. Le capital rêve sa disparition. Le néolibéralisme est une proposition autrement subtile dans laquelle le capital ne parvient pas à ses fins contre l’État mais par ses voies mêmes. La société est mise à disposition par l’État qui s’est mis à disposition. Et dans la porcherie, ça jouit très fort.

Sujets de la Firme

Vient tout de même un moment où l’on s’interroge. Parler d’un rapport, s’il est nouveau, entre l’État et le capital suppose (logiquement) deux entités distinctes. Mais que penser quand la mise à disposition tourne à l’interpénétration et que, celle-ci franchissant un seuil critique, on finit par ne plus savoir qui est quoi ? Quand un banquier d’affaire devient président, quand les mêmes personnages naviguent indifféremment des postes de pouvoir économiques aux postes de pouvoir politiques, quand par suite les conflits d’intérêts se répandent comme le mildiou ou le phylloxera, et désormais quand des cabinets de consulting prennent…

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Auteur: Frederic LORDON Le grand soir