L’instant où j’ai appartenu à la perte

Longtemps, j’ai résisté à écrire ce mot « Liban ». Sans doute un rejet de ce qu’il comporte de niaiseries culturelles et de fabulations nationales. Je l’ai souvent remplacé par « ce bout de terre » ou « cette contrée » ou « terre du désastre », expressions incertaines qui tentaient de cerner mon manque d’appartenance à cette société cruelle et médiocre, à partir de laquelle et à propos de laquelle j’écrivais pourtant. L’écriture était ainsi une sorte de meurtre symbolique : j’écris en effet à propos d’un pays dépourvu de nom et d’histoire, bout de terre gouverné par la banalité du mal, et que je m’étais depuis l’enfance entraîné à haïr. Ce rejet n’est pas un désir nationaliste d’une entité plus large ou le rêve communautaire de loyautés plus étroites. C’est une haine absurde, qui n’a de jouissance que dans l’isolement et la solitude, et dont l’unique condition d’existence est la non-appartenance à la communauté.

Mon rejet n’était pas envers les auteurs « nationalistes », car je ne les connaissais pas et encore moins leurs écrits minables. Comme tout haineux, ma haine était dirigée envers ceux qui partageaient mon scepticisme mais qui avaient fini par revendiquer d’appartenir au pays « envers et contre tout ». Ils étaient pour la plupart des anciens de la gauche qui avaient été entraînés au reniement du pays, mais qui étaient revenus vers lui, « envers et contre tout » donc, après avoir trouvé malgré tout quelque chose qui méritait l’appartenance. Ce retour n’était pas pour eux une sorte de « patriotisme minable » mais se rapprochait du retour des exclus au cœur d’une société qui, quelque soient ses défauts, était pourtant la « leur ». Ce retour contenait, « envers et contre tout », toutes leurs souffrances, leurs…

Auteur : lundimatin
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