L'invention d'un moment dystopique

Ce long article propose une analyse de la situation pandémique mondiale à partir du livre de Patrick Zylberman, Tempêtes Microbiennes, et en particulier des notions de « preparedness » (la « préparation ») et de « worst case scenario » (scénario du pire) qui ont été les notions motrices d’un tournant dans les politiques sanitaires des années 2000 aux États-Unis. Il n’est pas question de dire simplement que le moment que nous vivons serait dystopique : il s’agit de montrer en quoi le scénario, la fiction et la dystopie sont devenus des catégories opérantes dans un nouveau paradigme de gouvernement.

« Life is a « State of mind » »

Peter Sellers

11 Septembre 2001 – Répétition ad nauseum d’images de tours qui s’effondrent. Sensation de réel. Onde de choc, dans la conscience collective, ces attentats sonnèrent comme la fin d’une illusion. Ces images, pourtant familières, sorties tout droit d’un film catastrophe, qu’on n’avait pourtant jamais su anticiper, agirent comme un électrochoc : tout semblait nous démontrer, jusqu’alors, que rien n’avait lieu réellement. Images d’un retournement, d’un dévoilement fugitif…
Le rêve américain, brisé, le cours figé et confortable de nos vies, soudain interrompu, un sentiment de vulnérabilité, la mort comme retour du refoulé : ces images en seraient comme le symbole.
Février 2020 – Vues de loin, les images apocalyptiques d’un Wuhan désert, bien qu’inquiétantes, fascinèrent d’abord, fenêtre entrouverte sur un univers de science-fiction. Des films nous avaient montré ça, des livres nous avait fait toucher du doigt cet univers, nous avait pourtant averti.
À l’opposé du 11 septembre, par un processus inverse, ces images, aussi fortes soient-elles, semblèrent marquer comme un retour de la fiction.
Mais cette atmosphère de science-fiction, ces rues désertes, ces mesures extrêmes, inédites : lorsque ces images chez nous, soudain, sont devenues réelles, envahissant notre quotidien, la fascination cèda sa place à la sidération. L’aspect spectaculaire laissant plutôt place à une peur teintée d’ennui. Comme un engourdissement, l’espace interstitiel d’une demi-vie.
La fiction, pourtant, était entrée plus profondément dans nos vies : pas la grande fiction, celle qu’on avait lue dans les livres, mais la petite, celle sans histoire.
Si profondément qu’elle sembla effacer bientôt tout questionnement. À savoir : comment au fond ce basculement avait-il bien pu s’opérer ? Pouvions-nous même en…

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Auteur: lundimatin