Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?

Au moment de sélectionner le programme de lectures de l’année scolaire, les professeurs de français peuvent être conduits à choisir entre des éditions intégrales ou abrégées. Certaines œuvres de grands auteurs classiques – comme Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau, Jules Verne, Théophile Gautier ou encore Alexandre Dumas – peuvent en effet se décliner en librairie dans des formats abrégés. Des présentations qui suscitent questionnements et débats.

Pour expliquer le lancement dans les années 1980 de sa collection « Classiques abrégés », dans laquelle on trouve des titres comme L’Énéide, Moby Dick, Oliver Twist ou encore Notre-Dame de Paris, la maison d’édition L’École des Loisirs note par exemple qu’il s’agit de « transmettre aux jeunes générations des textes essentiels que leur ampleur risquait fort de faire sombrer dans l’oubli ». La version abrégée rendrait le classique « moins inquiétant », permettrait « de l’apprivoiser pour le mettre à la portée des jeunes lecteurs, en abrégeant le texte de manière à laisser intacts le fil du récit, le style et le rythme de l’auteur ».



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Au Livre de Poche Jeunesse, qui a inscrit à son catalogue de versions abrégées des titres comme La Chartreuse de Parme de Stendhal ou La bête humaine de Zola, on affirme aussi la volonté de donner accès à « tous les plus grands classiques de la littérature française », sans « intimider les élèves qui lisent moins avec des volumes trop imposants ». Référence est faite d’ailleurs aux Instructions officielles de l’Éducation nationale de 2016 selon lesquelles le professeur « conduit les élèves vers la découverte de textes classiques et contemporains » et « peut également avoir recours à des adaptations (texte modernisé et/ou abrégé, cinématographique, bande dessinée, etc.) pour faciliter l’entrée dans les œuvres les plus complexes ».

Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la pertinence qu’il y aurait à recommander aux élèves la lecture de la version abrégée plutôt que de la version intégrale de classiques puisqu’à notre connaissance aucune étude de psychologie n’a directement comparé les effets respectifs de la lecture de l’une ou l’autre version sur les élèves.

Mise en condition des lecteurs

Tout d’abord, précisons que ces versions abrégées se caractérisent par une simple suppression de passages jugés anecdotiques ou accessoires et que les passages conservés sont sans retouche. Il ne s’agit donc pas d’une simplification linguistique des textes et, par conséquent, il n’y a pas dans l’absolu de réduction de la valeur qualitative de ces derniers.

Cela implique dans ce cas une différence principalement quantitative entre les deux versions qui rendrait la version abrégée moins volumineuse et donc moins intimidante. Cela suffit-il vraiment à justifier d’éviter le passage par la version intégrale de l’œuvre ?



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Notons que, si certaines parties d’un texte, comme la description de personnages ou de lieux, peuvent sembler secondaires pour la compréhension globale d’une histoire, elles n’en contribuent pas moins à la création de liens entre les informations. Et cela permet d’expliquer certains comportements ou pensées. Le fait d’en savoir plus sur le passé d’un personnage permettra ainsi de mieux comprendre pourquoi il agit de telle ou telle manière. À cela s’ajoute le rôle que peuvent jouer ces passages soi-disant accessoires dans la mise en condition des lecteurs. Ils contribuent à les inviter à voyager mentalement dans l’univers de l’œuvre et ressentir des émotions plus ou moins fortes.

L’étude de Gregory S. Berns et de ses collègues, publiée en 2013, montrait que la lecture pendant neuf jours de la version intégrale du roman Pompeii : A Novel, de Robert Harris, s’accompagnait d’une augmentation constante et significative du niveau des émotions ressenties par des lecteurs. Cet effort quotidien allait aussi de pair avec un renforcement des connexions fonctionnelles au sein d’un réseau cérébral comprenant comme région centrale le cortex…

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Auteur: Frédéric Bernard, Maître de conférences en neuropsychologie, Université de Strasbourg