L'IVG

J’ai rendez-vous pour l’IVG. On part à pieds jusqu’à la gare. Ça semblait normal pour Romain de m’accompagner. « Ça aurait pu être moi la fille, et toi le garçon » m’a-t-il dit. Moi j’ai rien répondu à ça, je trouve la remarque trop binaire, mais assez classe. Pas d’héroïsme, juste pragmatique.

Sur le chemin, quand on marchait dans la pampa, je me disais premièrement qu’c’est perturbant d’être enceinte de quelqu’un. C’est vrai t’es forcément enceinte DE quelqu’un, ça ne te regarde qu’à moitié. Ça n’est de toi qu’à moitié. C’est littéralement étrange et étranger. Deuxièmement que c’est perturbant d’être enceinte de quelqu’un qu’tu kiffes. C’est ça aussi, qui est étrange : ça n’peut pas être insignifiant. C’est le produit de quelque chose, d’une relation, et dans mon cas d’un love coït. C’est un fruit et ça pousse en toi.

J’pense à mon sac gestationnel de 5 (peut-être 6) millimètres. Le truc flippant c’est de savoir qu’il y a d’grandes chances pour que si tu n’interviens pas, ça fasse une vie, une existence. Ça m’fout l’vertige et le cafard. Ça devrait pas… pourtant c’est carrément le cas. J’trouve ça incroyable et ignoble, un putain d’scandal biologique. C’est d’la putain de science-fiction.

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Une pote m’a fait remarquer l’autre jour, qu’en fait depuis la nuit des temps, les gens se battent contre ce mécanisme biophysique, qui fait qu’en baisant on procrée. C’est la lutte, les usages, les pratiques et la politique contraceptives. Elle me disait pas ça pour qu’enfin je mette des capotes, on pensait juste tout haut, ensemble. On se disait que c’était un putain d’vaste sujet, universel quasiment. C’est se tenir contre la Nature, garder le plaisir d’faire du sexe mais sans devoir se reproduire. Lutter contre la fertilité. On a bien + envie d’baiser que d’élever des gosses, en général. Baiser tu fais ça fréquemment, mais un enfant, c’est autre chose. J’me dis que je baiserai peut-être moins, après l’avortement. Ça passe l’envie, ça je vous l’dis.

M’enfin j’me dis que j’ai d’la chance que la personne qui a cru bon de s’oublier dans mon bas ventre soit non seulement quelqu’un de gentil, quelqu’un qui m’aime, mais également quelqu’un qui ne veut pas (pour le moment et c’est tant mieux) de descendance. Pas besoin de débattre des heures, de s’mettre d’accord, de s’consoler.

D’ailleurs je n’m’autorise pas trop à partir dans des envolées romantico-essentialistes. C’est émouvant d’tomber enceinte, au milieu d’la panique tu kiffes, tu t’dis stylé je peux le faire, mais faut pas trop exagérer.

Y’a…

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Auteur: lundimatin