L'odeur des merguez

1er mai 2002, manifestation à Paris, place de la République. Jeune étudiante étrangère, c’est ma première manifestation de 1er mai dans ce qui est en train de devenir pour moi, mon nouveau pays d’accueil, la France. Jusqu’à ce moment-là, les manifestations de 1er mai que j’ai connu ne ressemblent pas du tout à « ça ». Il y a le côté merguez, parcours bien rangé sous les drapeaux, les ballons, l’allure de fête foraine et les gros enceintes… c’est un choc. Je ne sens pas la pulsation sur les veines de la ville.

« Motivé, Motivé, il faut rester motivéMotivé, motivé, il faut se motiverMotivé, motivé, soyons motivés »

Le refrain qui monte des enceintes blesse mes oreilles. L’odeur des merguez et les canettes de coca-cola peaufinent le tableau. J’essaie de lire des pancartes, cueillir des graffitis, rassembler tout un tas de papiers qui me tombent sous la main. Des énoncés, des énoncés ! Sinon j’étouffe. Et puis, j’aurai bien aimé trouver quelque chose d’intelligent à me raconter, sur ce qui est arrivé au « mouvement ouvrier ». Mais il n’y a rien qui m’effleure.

Le « barrage républicain » est sûr de sa victoire. D’ici quelques jours, on vote ici. Chirac contre Jean-Marie Le Pen. La social-démocratie vient de s’essuyer une de ses claques mémorables. Longtemps sous perfusion, en France comme ailleurs, on sent que le patient ne s’en sortira pas cette fois. Les plus optimistes pensent que la « gauche » aura enfin sa chance, la chance de se recomposer. Les luttes sociales aussi. On a fini avec cette imposture pour de bon. Place au vrai.

Place de la République, sur une petite rue, je croise quelques camions de CRS stationnés. Les forces de l’ordre restent discrètes. Le chantage n’est pas encore ressenti comme un chantage. On « sait » que Chirac va passer. Après la manif, on prend le métro ensemble avec quelques ami.e.s. Parmi nous, très peux parlent bien le français.

Sur les quais, et dans les wagons du rail, je cherche encore des signes. Cela donne toujours une impression assez exacte d’un « moment » politique : enquêter dans le métro après la manifestation : regarder comment les gens qui vont au boulot, se préparent pour aller faire des courses, écoutent dans leur écouteurs en récitant leurs obligations pour le lendemain, se mélangent avec ceux et celles qui reviennent d’une manif. Pas un geste déplacé, pas une friction. La journée est ensoleillée. Ce qui est rare à Paris, je suis en train de l’apprendre. La journée…

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Auteur: lundimatin