La Bible hébraïque, longtemps appelée « Ancien Testament », est-elle un recueil de légendes tribales surmonté d’une législation archaïque, ou un agencement de propositions théoriques et pratiques dont l’enjeu est le processus d’humanisation d’un animal singulier – l’Adam – pris en tenaille entre l’instinct grégaire ou prédateur et la déraison civilisationnelle ?
Jacob Rogozinski, professeur à la faculté de philosophie de Strasbourg, fait paraître aux éditions du Cerf un ouvrage intitulé Moïse l’insurgé. L’enjeu est de proposer une lecture émancipatrice de la Bible, mais également de mettre en œuvre une méthode d’interprétation que l’auteur situe dans le sillage de Spinoza, Schelling, Freud, Weber ou Nancy : « J’ai essayé de rester fidèle à leur démarche dans ce livre » (p. 337). Le parti-pris est donc clairement philosophique et historico-critique, par différence avec un corpus traditionnel juif que l’auteur assimile à un « ghetto » (p. 73).
Dans un précédent ouvrage, Djihadisme. Le retour du sacrifice (Desclée de Brouwer, 2017), Rogozinski a témoigné de son souci de critiquer la xénophobie antimusulmane en mettant au jour la « vérité » de l’islam, signifiant par-là que la religion islamique peut être analysée comme un « dispositif » d’émancipation dont le « djihadisme » serait la défiguration (voir notre compte-rendu paru dans LM#126 : « Un islam défiguré »). Dans une tribune au Monde parue le 19/02/2019, il a également pris position en faveur des « gilets jaunes » et dénoncé la manière dont la question de l’antisémitisme a pu être instrumentalisée à des fins de réaction politique et sociale lorsqu’il s’est agi, pour les classes dirigeantes, de disqualifier l’ensemble du mouvement de contestation au prétexte qu’il serait substantiellement « antisémite ». Que Rogozinski s’empare à présent de la Bible hébraïque afin d’en interroger la dimension émancipatrice s’inscrit donc a priori dans la continuité de ses engagements politiques et philosophiques. Si cela rend l’entreprise, de prime abord, éminemment sympathique, cela ne suffit cependant pas à en avérer la pertinence intellectuelle et méthodologique. La question est en effet de savoir si la manière dont Rogozinski lit la Bible hébraïque est éclairante et féconde et si, en outre, elle est émancipatrice.
J’ai été particulièrement bref lors de ma recension de Djihadisme. Le retour du sacrifice. J’entends en revanche profiter de la parution de…
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Auteur: lundimatin