Marcel Proust, « psychologue original » dans les dictionnaires

Marcel Proust « psychologue original »… Voilà qui surprend ! Il s’agit pourtant du commentaire unique attribué de 1925 à 1951 à l’« auteur d’À la recherche du temps perdu » dans un dictionnaire de grand renom. En vérité, les lexicographes des dictionnaires, petits ou grands, furent d’abord dans l’embarras pour définir le génie de l’écrivain avant d’offrir une image toujours plus riche et originale de l’homme et de son œuvre. Suivre méthodiquement l’évolution de ces articles, découvrir sous l’anonymat qu’ils sont parfois rédigés par un académicien, repérer chronologiquement les indices de la notoriété sans cesse croissante de Marcel Proust – photographies, tableaux, commentaires inattendus à propos de la madeleine, de Combray, de l’adjectif proustien, etc. –, tel est l’objectif de l’essai de Jean Pruvost, à la fois source documentaire et voyage inédit au cœur de l’univers proustien. En voici un extrait.

Ne pas s’intéresser à Marcel Proust et son œuvre revient pour ainsi dire à s’exclure du monde des lettres. Et ne pas consulter les dictionnaires revient assurément à se priver de commentaires circonstanciés et datés, que ceux-ci soient publiés du vivant de Marcel Proust ou parus au cours de sa prestigieuse postérité. S’il demeure cependant aisé de se procurer in extenso À la recherche du temps perdu, il reste de loin moins facile d’avoir à sa disposition tous les dictionnaires ayant rendu compte de l’homme et de l’œuvre. En faciliter l’accès tout en précisant le type d’éclairage apporté, telle est l’ambition ici nourrie.

Au-delà du nom de l’auteur, son univers

À dire vrai, dès lors qu’on se passionne pour la vie des mots et celle de leurs réceptacles institués, les dictionnaires, on rencontre inévitablement l’univers « proustien », et le fait même de l’existence de ce dernier adjectif incite d’ailleurs à dénicher la réalité aussi bien du côté des mots constituant la langue française que du côté des noms propres. Une autre consécration lexicographique est celle correspondant aux œuvres dont le titre bénéficie d’une entrée dans un dictionnaire encyclopédique général. Ainsi, À la Recherche du temps perdu n’a pas manqué d’être à l’honneur mais aussi, et entre autres, le roman qui valut à Marcel Proust le Prix Goncourt en décembre 1919, À l’ombre des jeunes filles en fleurs. D’autres romans sont-ils cités ? Quand ?

Enfin, lorsque l’univers romanesque d’un écrivain s’ancre profondément dans une culture nationale, il arrive parfois que certains lieux imaginés, certains thèmes célébrés par un homme ou une femme de lettres prennent vie au point de s’installer dans notre mémoire collective. Ils sont alors relayés par leur inscription dans nos dictionnaires, par définition attentifs à la culture patrimoniale. S’agissant de À la recherche du temps perdu, aucun lecteur ne peut ainsi oublier d’une part la « madeleine » – pour laquelle, le plus souvent, il n’est d’ailleurs pas même besoin d’y adjoindre son complément de nom naturel, « de Proust » – et d’autre part « Combray ».

Ce sont là en réalité des signes de connivence culturelle devenus si flagrants qu’ils échappent presque à la mention de l’œuvre qui en est la source. Marcel Proust a si bien analysé et défini la sensation ressentie en savourant ce « petit morceau de madeleine », déclencheur de réminiscences rattachées à tante Léonie, et réanimant « l’édifice immense du souvenir », que la « madeleine » représente désormais pour chacun d’entre nous une clef personnelle de notre enfance. Pareil constat collectif ne peut donc échapper aux lexicographes et, de fait, le moment où ces greffiers de l’usage l’ont consigné et fait ainsi entrer dans notre patrimoine sémantique nous importe en tant qu’étape marquante dans la reconnaissance nationale. À nous d’en traquer le plus précisément possible l’émergence dans l’immense corpus des dictionnaires.

Une reconnaissance lexicographique par degrés

Dans la Préface de son tout premier dictionnaire, publié en 1856, le Nouveau Dictionnaire de la langue française, Pierre Larousse comparait tout auteur d’un ouvrage lexicographique à un « laquais qui porte les bagages de son maître », le maître incarnant la langue française et le laquais, le…

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Auteur: Jean Pruvost, Lexicologue et historien de la langue française, CY Cergy Paris Université