Un des « jeux » favoris des journalistes consiste à anticiper et co-construire le deuxième tour des élections – ici présidentielles – plusieurs mois à l’avance. Qu’ils le fassent à coups de sondages ou par le biais d’appels à témoignages rebaptisés « enquêtes » ne change rien à l’affaire. Par chance, tous ne succombent pas à la pratique : ils peuvent ainsi légitimement donner la leçon…
Le 5 octobre, Marianne publiait un appel à témoignages à l’intention des « électeurs de gauche ». La question : « Ferez-vous barrage à Zemmour face à Macron ? » Nous relevions cette « facétie » dans notre article consacré à la banalisation de l’agitateur fasciste (n’ayant toujours pas officiellement déclaré de candidature), et attendions avec hâte que l’enquête paraisse. Huit jours plus tard, c’était chose faite :
Un exemple exemplaire des exercices de divination et autres prophéties sur lesquels prospèrent inlassablement les médias. Car quoi de mieux, journalistiquement parlant, que d’imposer aux électeurs de gauche des questionnements par défaut, excluant de fait leurs principales préoccupations dans un climat déjà polarisé par l’extrême droite ? L’hypocrisie des médias qui posent la question. Quel régal, en effet, que de voir Marianne s’empêtrer en préambule dans la défense de l’exercice :
Nous avons recueilli environ 1 500 témoignages pour ébaucher une réponse à ces questions, que les électeurs de gauche risquent hélas de devoir se poser encore une fois.
Marianne anticipe.
Le pire n’est jamais certain, mais autant s’y préparer.
Marianne veille au grain.
Suspendons un instant la prudence qu’imposent la distance par rapport à l’élection et la volatilité des sondages : si le second tour oppose Emmanuel Macron à Marine Le Pen ou Éric Zemmour, la gauche participera-t-elle, comme en 2002 et en 2017, à un « front républicain » ?
Marianne pédale dans la semoule.
Autant l’écrire d’emblée : ces 1 436 témoignages n’ont ni valeur de sondage, ni d’enquête sociologique. De même, il ne s’agit pas ici de légitimer la candidature d’Éric Zemmour, pas plus que d’installer dans les esprits la perspective d’un duel inéluctable entre Emmanuel Macron et un autre candidat, quel qu’il soit.
Bref, Marianne prend les lecteurs pour des imbéciles.
Heureusement, quelques vigies critiques demeurent dans le paysage, inflexibles. Le 30 octobre sur France Inter, Natacha Polony fulmine contre ce type de routines journalistiques,…
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Auteur: Pauline Perrenot Acrimed