Mars sera-t-elle triste quand la Terre sera morte ?

On ne sait que peu de choses de Bertrand Gaubert, éditeur du « magazine underground » Synchronie, disparu durant l’hiver 2013. Pire : chacune de ces choses s’accompagne d’une nouvelle question ; chaque pas en avant, d’un pas en arrière. On sait qu’il est né, mais pas quand ; on sait qu’il a disparu, mais pas s’il est mort.

On sait qu’il naquit en France, vécut en Turquie avec ses parents, voyagea ici et là. On sait qu’il hérita de son nom de famille, Gaubert, d’un prof d’histoire-géo de banlieue parisienne, mais pas si ce dernier était son père « génétique ». On pense que sa mère était une peintre fascinée par les mises en abîme, et que son unique sœur aurait émigré à Berlin, où elle serait devenue strip-teaseuse. On sait qu’il était bi, peut-être trilingue. On pense connaître certains de ses maîtres à penser, ou du moins ceux qui s’en rapprochaient : Sade, Nietzsche, Dantec, sans oublier Burroughs et une poignée d’autres beats, mais surtout pas Kerouac, qu’il considérait comme un sain, cette race qu’il conspuait. Ce dont on est certain, c’est qu’il écrivait, car pour en avoir la preuve il suffit de se saisir d’un numéro de Synchronie, ou de feuilleter sa seule publication qualifiable de livre : Mars sera-t-elle triste quand la Terre sera morte ?

Quelque part entre essai et roman, Mars sera-t-elle triste quand la Terre sera morte ? semble vouloir nous convaincre de l’inutilité du recyclage et autres réflexes « verts », si populaires au début du vingt-et-unième siècle. On s’y pose ainsi la question-titre, quatre cent soixante-sept pages durant, en présupposant que les planètes sont des êtres vivants dotés de leurs propres pensées. C’est un livre qui sent l’enfermement, la solitude et le stade d’après la dépression : cette acceptation de toute chose, non parce que « la vie est bien faite » mais parce qu’elle ne l’est pas et ne l’a jamais été.

L’histoire débute par une querelle entre Marguerite, travailleuse sociale, et sa colocataire Ophélie, chômeuse passant ses journées à fumer des joints en regardant des séries télé. Les deux femmes ont une génération d’écart ; l’une a grandi en ville, l’autre à la campagne ; elles sont devenus colocataires sans se connaître auparavant ; leur point commun originel est un dénommé Boris, habitant techniquement avec elles mais toujours absent de l’appartement, pour des raisons qui ne seront pas précisées avant le dernier quart du livre. On comprend que ce…

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Auteur: lundimatin