Médias et travail : le journalisme social en miettes (1/4)

« Visite à l’usine après une soirée chez le directeur ». Sur cette toile d’Ernest Georges Bergès, peinte en 1901, un bourgeois coiffé d’un haut-de-forme, accoudé à une balustrade, contemple l’intérieur d’une fonderie. À ses côtés, hommes et femmes de la haute société s’affairent en touristes et discutent, on le suppose, de cette usine de Terrenoire (bassin stéphanois) considérée comme un laboratoire à la pointe de la métallurgie. En arrière-plan, minuscules dans la fournaise, les ombres d’ouvriers au travail.

Un siècle plus tard, si les représentations du travail et des travailleurs se sont diversifiées dans les productions culturelles, elles restent majoritairement, dans les grands médias, l’affaire des classes dominantes. C’est ainsi qu’au mois de décembre 2014, sur le service public, le journaliste économique François Lenglet ouvre son émission « La France travaille-telle assez ? » par une promenade dans les ateliers du constructeur aéronautique Safran. Musique haletante, ouvriers en fond de paysage, le chef d’orchestre débute sa bande-annonce :

Les jeunes qui sont derrière moi se souviendront de ce moment toute leur vie ! Les voici partis pour une aventure de 40 ans au moins ! Ils vont découvrir le monde du travail et ses surprises, bonnes ou mauvaises, ses rigidités et ses dangers. Parce qu’en France, il y a beaucoup de gens qui travaillent, et souvent trop. Mais il y a aussi des chômeurs qui voudraient travailler et qui n’y parviennent pas. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce la faute aux 35 heures, au Code du travail avec ses 3 400 pages, est-ce la faute des patrons frileux, des syndicats rigides ? […] Comment mettre fin au chômage, comment encourager les patrons à embaucher ? Nous irons poser ces questions à des grands témoins : Jean-Claude Mailly de Force ouvrière, Pierre Gattaz du Medef et Xavier Niel, le patron préféré des Français.

Les productions médiatiques dominantes sur le monde du travail revêtent ainsi le plus souvent le même point de vue surplombant et paternaliste, pétri d’une vision patronale du monde où le droit et les syndicats sont des gêneurs en puissance, et qui marginalise immanquablement les travailleurs. Dans cette même émission, la parole des salariés fut d’ailleurs négligeable au regard de celle des « grands témoins » – au premier rang desquels figuraient des PDG, petits patrons et leurs représentants – et cantonnée à une fonction descriptive, illustrative, pour ne pas dire folklorique. Alors…

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Auteur: Pauline Perrenot, Sophie Eustache Acrimed