Médias et travail : le journalisme social en miettes (2/4)

À l’image des nombreuses grèves qui ne bénéficient pas du moindre écho médiatique, d’autres réalités illustrant certains des aspects les plus conflictuels et les plus significatifs du monde du travail passent sous les radars. Ce fut le cas de la condamnation définitive du groupe Bouygues, en janvier 2021, pour recours à du travail dissimulé sur le chantier de l’EPR de Flamanville : un article dans Mediapart, un autre dans Le Canard Enchaîné et trois lignes dans Ouest-France. Basta.

Le jugement aurait pourtant justifié une couverture de grande ampleur à de nombreux égards. Celui des faits incriminés, par exemple : rien de moins qu’une centaine d’accidents du travail non déclarés, et l’embauche illégale de 460 travailleurs roumains et polonais entre 2008 et 2012, qui, rappelle Mediapart, « ne disposaient d’aucune protection sociale », d’« aucun congé payé » « pour une majorité d’entre eux » et « pour certains », d’« aucun bulletin de paie ». Il est vrai qu’un des plus gros employeurs (et oligarque) du pays s’asseyant sur le droit du travail sur l’un des plus gros chantiers du pays, pour la construction d’un ouvrage aussi anodin qu’une centrale nucléaire ne correspond guère à la vision irénique du monde du travail que diffusent la plupart des journalistes – et pour cause.

Le journalisme social : une espèce médiatique en voie de disparition

La sociologie des journalistes – profession structurée, malgré de fortes disparités, par « une tendance forte à l’embourgeoisement […], en particulier dans ses franges dominantes ou intermédiaires »– est un facteur à même d’expliquer le désintérêt, la méconnaissance voire le mépris des professionnels des médias – et notamment des chefferies éditoriales – vis-à-vis des classes populaires et des métiers qu’elles exercent, relégués au bas de l’échelle sociale. L’évolution spécifique du profil personnel et professionnel des journalistes sociaux en est un autre. Dans l’étude qu’elle leur consacre, la politiste Sandrine Lévêque montre comment l’engagement militant (politique et syndical), résolument au côté du mouvement ouvrier, fut au début du XXe siècle un fondement intrinsèquement lié à leur légitimation en tant que « groupe » professionnel.

Puis, à mesure que « militantisme » et « référence au monde ouvrier » apparurent comme une « ressource dévaluée », et en écho aux « profonds changements » que connut la profession – notamment l’arrivée de…

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Auteur: Pauline Perrenot, Sophie Eustache Acrimed