Méga-bassines : un affrontement entre mondes

Vous pouvez retrouver la dernière bande dessinée d’Alessandro Pignocchi ici et son entretien croisé avec Philippe Descola pour lundisoir .

La sècheresse hivernale que nous sommes en train de vivre et, donc, l’impossibilité pour les nappes phréatiques de se reconstituer réactualisent les débats autour des « méga-bassines ». Appelées « réserves de substitution » par leurs promoteurs, ces immenses retenues d’eau en plastique – dont l’une des plus grandes, à Sainte-Soline, compte s’étendre sur seize hectares – doivent aider l’agriculture à surmonter les sècheresses qui s’annoncent de plus en plus sévères en captant l’eau dans les nappes phréatiques l’hiver pour faciliter l’irrigation en été. Les controverses qu’elles suscitent se focalisent en général sur leur efficacité réelle et sur leurs possibles effets secondaires. Si ces questions techniques sont importantes, elles ne doivent pas masquer des enjeux politiques beaucoup plus vastes : les bassines cristallisent et révèlent un affrontement entre mondes, entre des désirs antagonistes quant à la manière de composer un monde commun.

Depuis le milieu du XXe siècle, le nombre d’agriculteurs et d’agricultrices a fondu, passant de 30% des actifs en 1955 à moins de 2% aujourd’hui, tandis que la taille des exploitations a explosé ainsi que, bien sûr, leur niveau de mécanisation. Derrière un discours de légitimation qui insistait sur la nécessité de nourrir la France, d’exporter, de délivrer l’humanité des tâches pénibles liées au travail de la terre, l’industrialisation rapide de l’agriculture servait les intérêts des élites politiques et économiques. La production agricole devenait plus prévisible et rentable pour le capital, tandis que les coûts de production diminuaient, ce qui permettait de déplacer une part du budget consacré à l’alimentation vers d’autres domaines de consommation. L’agriculture se mettait au service du développement industriel en le fournissant en matière première et en lui offrant un important débouché à travers sa dépendance accélérée aux machines, aux pesticides, aux engrais de synthèse et à l’irrigation. Plus profondément, la chute libre du nombre de fermes, de paysans et de paysannes, dépossédait les populations des moyens et des savoir-faire qui leur permettaient d’assurer des formes d’autonomie matérielle les obligeant, pour survivre, à vendre leur temps et leur énergie sur un marché du travail en pleine expansion. Les humains, la terre, les…

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Auteur: dev