Mèmes sans fin [2/2]

Suite et fin de cette analyse brillante et exigeante des soulèvements actuels depuis le mouvement George Floyd et les États-Unis. La première partie est accessible ici.

Trahison raciale et mouvement réel

Vu de l’extérieur, le soulèvement George Floyd résulte d’une coalition historiquement aberrante entre des identités socialement contradictoires. Si ce langage fait sens d’un certain point de vue sociologique, il ne peut formuler l’expérience d’une personne à la peau blanche qui se serait impliquée ardemment dans le mouvement que par la négative, depuis la posture de la « trahison de race ». Il n’arrive pas à le faire positivement. Or, la rhétorique de la trahison raciale, parce qu’elle n’interprète les actions que par la posture subjective véhiculée dans la structure ou le « schéma » des castes raciales, appréhende, certes, la situation correctement, mais de manière extérieure, du côté de la gouvernance. Pendant ce temps, la phénoménologie de la trahison raciale – l’analyse d’une subversion qui vient de l’intérieur – n’est toujours pas décrite.

Rien n’est plus intimement réel que de naviguer dans la foule, les uns à côté des autres, anonymes, attirés comme des papillons de nuit vers les flammes. Qualifier l’expérience des émeutes de l’été dernier de « trahison » revient à ne la lire qu’à travers la mise au ban qui structure la société civile raciste, et implique également de passer sous silence le penchant auquel l’évènement de l’émeute s’abandonne. Ce qui pourrait apparaître de l’extérieur comme une trahison des normes hégémoniques ressemble davantage, vue de l’intérieur, à son contraire. De ce point de vue, il s’agit plutôt de recouvrir une forme d’expérience qualitative dont la société bourgeoise racialisée nous a privé : d’être présent, lumineusement et avec assurance, dans une situation commune, riche d’enjeux concrets, de risques et de dépendances partagées. Une occasion d’exprimer que nous n’appartenons pas à l’ordre historique dominant. Avant de pouvoir trahir nos identités assignées, nous devons d’abord cesser de nous trahir nous-mêmes, cesser la perpétuelle trahison et la mutilation de nos sens exigées par la « religion sensible » de l’Empire. Tandis que la « trahison raciale » observe cette séquence depuis l’extérieur, nous y substituons une perspective interne ou modale, c’est-à-dire centrée sur la grammaire de l’action et l’expérience de la présence. C’est depuis ce…

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Auteur: lundimatin