Le bus va-t-il tomber dans le précipice ? Ou bien est-ce la montagne qui va l’avaler ? Depuis là où je suis, situé dans cet entre-deux maléfique, entre deux mondes (vie, mort), la question se pose, et même s’impose : ne pas mourir d’un côté comme de l’autre.
Car il est toujours possible de mourir du côté vivant du précipice, celui où le corps bouge toujours : on appelle cela mourir les yeux ouverts, c’est à dire cesser de réfléchir, s’aplatir dans le pur néant bêtifié, la bouche ouverte, vaseuse, liquide – béate. Alors ne pas mourir, en moins en pensée. Le bus s’extirpe de ces virages en lacet avec l’agilité d’un jaguar : au Mexique, c’est un animal-roi – c’est l’âme présente en chaque habitant.e dans son pur potentiel de bourreau et de victime – les deux à la fois, comme si chacun était fort d’abord de ses propres vulnérabilités – comme si le sacrifice, après tout, n’était que les deux faces d’une même médaille : vie-mort – on en revient toujours un peu à ça, finalement. Jaguar : anima, comme un petit esprit qui bouge en chacun de nous et qu’on ne peut attraper qu’en fermant les yeux, en le sentant taper délicatement aux portes ouvertes du coeur, ce coeur comme lien absolu de la vie-mort qui nous constitue tous, sans distinction. Mais n’est-ce pas là syncoeuriser deux évidences ?
Le jaguar maya est avant tout une arme pour le coeur au sens étymologique le plus ancien, indo-européen : ar-m-, arme comme jointure ; ou grec comme armos : assemblage. Force duale de l’arme-jaguar, donc. Une arme, oui, mais sans coups de feux, une arme intérieure – une arme corporelle, enracinée dans le corps-même : une arme aux rameaux féconds – comme une espèce d’arbre qu’on laisse croître en soi sans y toucher pour ensuite la voir s’épaissir de tous les siècles à venir – une arme déclarante, en un sens, comme le bras (arm) sert à désigner le monde et à l’embrasser…
Auteur: lundimatin
La suite est à lire sur: lundi.am