Mickaël Foessel : « On est plus joyeux en partageant qu'en privatisant »

Basta!  : « Aborder le plaisir politiquement implique de tenir compte du pluralisme des goûts, sans l’expliquer par des préférences idéologiques », écrivez-vous dans votre livre. Il n’y aurait donc pas de plaisirs de droite contre des plaisirs de gauche ?

Mickaël Fœssel : À travers la notion de plaisir, c’est la question des mœurs que l’on pose, et cette question est profondément politique. Pas simplement au sens où il y aurait, pour le dire schématiquement, des mœurs bourgeoises contre des mœurs de type prolétaire. Il y a bien sûr une distinction d’ordre sociologique, avec des goûts qui sont marqués par l’appartenance à une certaine classe sociale, et par le contexte culturel dans lequel on évolue. Cela étant, ce qui caractérise plutôt le monde contemporain en la matière, c’est une certaine uniformisation de ces goûts. Aujourd’hui, tout le monde regarde les mêmes séries ou fantasme sur les mêmes objets de consommation – c’est d’ailleurs le seul moment où le marqueur de classe semble disparaître complètement, dans le rapport fétichiste aux marques. Il y a une massification – d’aucuns parleraient de « démocratisation » – dans l’identification aux objets de consommation que la société valorise. On est un peu sorti de l’ère de la « distinction » bourdieusienne, où la bourgeoisie cherchait à se différencier culturellement.

Mickaël Fœssel

© Romain Guédé

À mon sens, ce qui nous distingue donc politiquement, ce n’est pas l’objet du plaisir, mais plutôt le rapport qu’on entretient avec lui. La question n’est pas de savoir si la côte de bœuf est un plaisir de droite par rapport au couscous ou au quinoa, mais comment on perçoit et revendique ce plaisir-là. Est-ce qu’on tire une partie de notre jouissance de notre capacité à en manger quand d’autres en sont privés ? Ou, au contraire, est-ce qu’on considère que le plaisir s’augmente d’être partagé ? Un exemple typique : on peut évidemment aimer le foot qu’on soit de gauche ou de droite. Cependant, on ne l’aimera sûrement pas de la même manière. On n’ira pas y chercher les mêmes émotions, ce ne sera pas le même rapport à la nature du jeu, à ce qu’il peut signifier, à la nationalité des joueurs ou des équipes.

Pour autant, vous vous attachez également à défendre la dimension « politiquement subversive » de certains plaisirs, qui participeraient ainsi à bousculer l’ordre établi…

Il faut distinguer deux formes de plaisirs : ceux que…

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Auteur: Barnabé Binctin, Ivan du Roy