Militance du symptôme : féminisme, transidentité et inconscient

Le film d’Isabelle Solas montre avec une délicatesse et une précision admirables que, dans la vie des personnes trans, l’intime et le politique se mêlent indissolublement, et cela à partir du corps traversé par le symptôme. L’invention d’une certaine identité de genre est inséparable de l’activité militante, le corps genré se fabrique aussi comme un corps de luttes, féministe. En suivant la vie de plusieurs « travesties » en Argentine, toutes différentes mais également attachantes, le film montre que, loin de pousser à la standardisation des corps, la transidentité permet une diversité heureuse, chacune trouvant, dans la sororité, la force de se maintenir dans un monde inhospitalier.

Nos corps sont vos champs de bataille (France, 2022) interroge la transidentité sous le biais du politique. La question du corps est centrale, mais Isabelle Solas, au lieu de se focaliser sur l’anatomie et l’identité, met l’accent sur la rencontre entre des personnes trans, certes différentes entre elles, mais unies dans la lutte partagée. Leurs corps, blessés et subversifs à la fois, constituent l’arme principale de cette lutte. Ils fonctionnent à la fois comme emblème symbolique et marque réelle de la bataille en cours : ils sont à la fois l’enjeu de ce combat (qu’on peut voir à ce titre comme relevant de la reconnaissance) et l’effet d’un combat qui n’a pas été choisi (on leur a déclaré la guerre et les corps trans portent la marque des blessures qu’on leur inflige). Chaque corps singulièrement traumatisé (par sa propre histoire) est partie intégrante du corps collectif (d’une lutte au présent) : de passif dans la blessure, il devient actif dans la militance.

Précisons que le titre que Isabelle Solas donne au film est, de ses propres mots, ambigu, car il recèle une zone d’ombre. Le champ de bataille peut être entendu comme le lieu de l’engagement : c’est justement la perspective que j’adopte dans les pages suivantes. Mais pour la réalisatrice, le champ de bataille est l’espace où la bataille a lieu, à savoir l’endroit où le monde hétéronormé exprime son mal-être à l’égard de la subversion du genre. Le corps est un « problème » pour les personnes cisgenres, alors que ce sont les corps et les vies des personnes trans qui sont en jeu. A travers l’opposition entre « nos corps » et « vos champs de bataille », Isabelle Solas veut indiquer que les corps trans sont les lieux de notre guerre, de…

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Auteur: lundimatin