« Mon fils est mort à 17 ans » : des familles dénoncent les accidents du travail

Paris, reportage

Adrien, Hugo, Flavien, Romain, Jérôme, Mohamed… Du mégaphone s’échappe une interminable série de prénoms. Comme pour les accompagner dans l’air froid parisien, les pétales rose pâle d’un prunier myrobolan s’envolent à leur tour dans les bourrasques. Et puis, d’une même voix fragile, les familles s’écrient : « Morts au travail ! »

Le 4 mars, une centaine de femmes et d’hommes vêtus de t-shirts blancs ont occupé le square d’Ajaccio, du 7ᵉ arrondissement de Paris. Répondant à l’appel du collectif Familles : Stop à la mort au travail, tous dénonçaient le déni et le silence entourant les accidents mortels au travail. Une larme ruisselant sur la joue, les yeux clos ou fixant le béton glacial, ils arboraient les portraits souriants de leurs proches défunts.

Parmi eux, celui de Romain Torres et sa petite bouille d’adolescent au sourire angélique. Le 28 juin 2018, dans une forêt reculée d’Alsace, ce jeune stagiaire bûcheron a été mortellement percuté par un tronc. « Il adorait se promener dans les bois et construire des cabanes. Son rêve était de devenir garde forestier à l’ONF [Office national des forêts] », témoigne Sabine, sa mère.

Jugé, son maître de stage a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 2 000 € d’amende. Il a été reconnu coupable de quatre infractions aux règles de sécurité. « Romain n’avait que 17 ans. Il faut témoigner, dire que des élèves peuvent mourir en formation. Les apprenants doivent protéger nos enfants. »

« En première ligne, il y a les ouvriers du BTP »

Des histoires comme celle-ci, Matthieu Lépine en a recensé 1 399, entre 2019 et 2022. Professeur d’histoire en Seine-Saint-Denis, il est l’auteur d’une enquête sur les morts au travail, appelée L’Hécatombe invisible (éditions Le Seuil) : « Les agriculteurs et ouvriers agricoles figurent parmi les plus touchés, souvent victimes des engins manipulés, comme le petit Arthur, écrasé par le bras mécanique d’un tracteur à 14 ans, détaille-t-il. D’autres métiers ne sont pas en reste, comme les bûcherons, les marins-pêcheurs ou les routiers. Et bien sûr, en première ligne, il y a les ouvriers du BTP. »

Roses blanches et portraits plastifiés recouvrent désormais la clôture métallique du square. Accroupie, un poster de son fils sous le bras, une femme bataille avec un rouleau de scotch. Les mains anesthésiées par le froid, elle s’impatiente et éclate brusquement en sanglots. Valérie Wasson a perdu son garçon de 21 ans en mai 2020. Ingénieur stagiaire pour le groupe Fayat, il travaillait depuis trois jours sur le chantier du RER E, à Pantin : « Il a été envoyé seul sur un toit pour ramasser des…

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Auteur: Emmanuel Clévenot Reporterre