« Monsieur, enlevez-moi mon zéro ! »

Partout dans le monde, les éducations nationales utilisent la note pour valoriser le travail des êtres enfermés entre leurs murs. Outils de gouvernance érigés au rang de totem, elles permettent de discipliner les esprits sans toucher les corps. Elles produisent l’illusion d’un classement objectif des élèves, comme s’ils n’étaient que la somme d’eux mêmes, complètement indépendants des circonstances matérielles qui nous façonnent. Le système éducatif français renforce sa sélection sociale et oblige donc les enseignants à évaluer tout azimut leurs élèves. Ce texte qui fait suite à l’excellent « Je veux plus aller à l’école » que nous avions publié le mois dernier, propose de revenir sur cette situation, sur ce qu’elle fait à ceux et à celles qui peuplent l’école, sur la base d’expériences vécues. Il tente aussi modestement d’imaginer d’autres possibles que l’existant.

« Oui mais enlevez-moi mon zéro vu que j ai justifié » m’exhorte Djaïda, presque impérieuse. « d’accord, mais pouvez-vous enlever mon zéro ? » renchérit Imène, beaucoup plus polie. Ces suppliques sont celles de mes élèves, deux premières qui ont soigneusement esquivé mes DS, acronyme des devoirs surveillés, dans la langue administrative parlée dans l’Education Nationale. Djaïda et Imène se sont certainement crues très malignes quand elles ont séché mon interro d’anglais sur les relations coloniales entre la Grande-Bretagne et l’Inde. Cela alors que j’avais allégé le contrôle d’un exercice de grammaire particulièrement épineux, sur les conseils d’une collègue d’allemand. Et voilà comment je suis remercié de ma bienveillance, par des chaises vides dans la salle des devoirs, l’autel consacré de la souffrance scolaire, où des générations d’élèves ont recraché les connaissances qu’on leur a fourrées dans le crâne, bon gré mal gré. Pour en oublier une grande partie le lendemain.

Revenons-en à mes deux astucieuses réfractaires. Débordant de magnanimité, je leur propose un rattrapage en classe le jeudi matin, qu’elles évitent de nouveau, toutes les deux au même moment. Devant cette évidente récidive, frauduleusement justifiée par un rendez-vous à l’extérieur sur Pronote, notre logiciel de gestion des êtres, les autres élèves laissent échapper quelques commentaires hilares. Il me faut agir avant que la sédition ne se répande dans les esprits et que les élèves s’organisent pour me faire cracher des bonnes notes. Monsieur, nous ne…

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Auteur: lundimatin