Nastassja Martin : « Rêver doit redevenir une forme de résistance »

Nastassja Martin est anthropologue. Elle a vécu avec une communauté évène, au Kamtchatka, dans l’est de la Sibérie. Elle a raconté cette expérience dans Croire aux fauves (Verticales, 2019), un livre magnifique, et dans À l’est des rêves (La Découverte, 2022), récemment paru.

Écoutez l’entretien complet avec Nastassja Martin, invitée de Reporterre, sur toutes les plateformes :

Cet entretien est conçu sous forme d’un entretien pour podcast. Nous vous invitons fortement à l’écouter. Si vous ne pouvez pas le faire, voici quelques extraits transcrits des propos de Nastassja Martin.



Reporterre — Dans votre livre « Croire aux fauves », dans lequel vous relatez votre rencontre avec un ours, qui vous a blessée, vous écrivez : « L’Ours a vu dans mes yeux sa part d’humanité. » Qu’est-ce que cela signifie ?

Nastassja Martin — Ce qui nous lie au reste des êtres vivants, ce n’est pas la biologie de nos corps, mais quelque chose comme une âme qu’on partagerait avec les autres êtres vivants. Dans certains contextes, on peut renouer un dialogue malgré le fait que nos dispositions physiques ne sont pas les mêmes. On trouve ainsi dans nombre de mythologies du Grand Nord l’idée qu’au temps des origines, les ours et les humains n’étaient pas aussi distingués qu’à l’heure actuelle. Des histoires racontent qu’en ce temps-là, les ours vivaient comme des humains, s’habillaient comme des humains, marchaient comme des humains et cuisinaient sur du feu comme les humains. Un jour, les ours auraient déchu de leur position d’humanité, mais seraient quand même restés très proches des humains. Les Évènes du Kamtchatka, avec lesquels j’ai vécu et travaillé, disent que la raison pour laquelle un ours attaque toujours au visage lorsqu’ils attaquent un humain, c’est parce que s’il croise votre regard, il ne supporte pas ce qu’il y voit, qui est le reflet de son âme telle qu’elle a chuté.

Mais il y a toujours une brèche, des moments où, par les pratiques de chasse, par les rituels ou par le rêve, le dialogue [avec les êtres vivants] est encore possible. C’est quelque chose qui est vécu par les chasseurs pêcheurs partout dans le monde. Dans les pratiques de chasse, il y a toujours un moment où, pour approcher l’autre, il faut le séduire. Il faut revêtir ses habits, son odeur, sa manière de vocaliser, de parler. C’est pour ça qu’on imite les cris, les sons, qu’on peut s’enduire d’urine, d’élan par exemple si on en chasse un élan. Il y a une forme de devenir l’autre pour pouvoir l’amener à soi.

Reporterre — Que veut dire « Croire aux fauves », le titre de votre livre ?

Cela peut paraître contre-intuitif pour une anthropologue, pour une…

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Auteur: Hervé Kempf Reporterre