Netflix, une machine à standardiser les histoires ?

Dans l’univers académique, les « popular culture studies » s’intéressent depuis la fin des années 1950 à ce que les cultures populaires disent de nos sociétés : Netflix et le monde des séries, toujours plus nombreuses, entrent de plein fouet dans ce champ. Cette culture dite populaire est très souvent critiquée par celles et ceux qui voient dans cette production souvent d’origine anglo-saxonne une forme d’abrutissement des masses à des fins exclusivement commerciales.

Pourtant, ces travaux fournissent aujourd’hui d’importants apports sociologiques et révèlent au grand jour des combats et des audaces multiples, que ce soit à travers l’étude du hip-hop, du mouvement punk, d’Andy Warhol, de Beyoncé ou de Lady Gaga.

Créé en 1997, Netflix inonde le marché de la VOD dès 2007 pour créer la plus grande plate-forme mondiale de streaming.

En 2022, malgré un certain ralentissement, la plate-forme compte 220 millions d’abonnés, plus de 5000 programmes et vient de lancer un nouvel abonnement à bas prix, mais avec publicité.

Si Netflix est parvenu à écraser une concurrence de plus en plus dure, voire à l’étouffer dès le départ, c’est grâce à son audace, en proposant des contenus inédits. Mais cet hypermarché des séries pose question : la plate-forme promeut-elle la diversité des histoires et des scénarios ou au contraire, cette plate-forme n’est-elle qu’une énorme machine à produire de la conformité ?

De l’audace dans un paysage morne

Quand Netflix arrive en France en 2014, les offres sérielles sont assez peu nombreuses et le choix se fait entre quelques créations de Canal+ dont certaines feront date – Engrenages en 2005, Le Bureau des Légendes en 2015 ou encore Baron noir en 2016 et la mythique Kaamelott sur M6 (2005) ; sans compter les feuilletons quotidiens des grandes chaînes façon Plus belle la vie (2004–2022). La France reste dans des cadres narratifs et imaginaires souvent policés, très classiques – on n’imagine mal un House of cards avec l’Elysée pour toile de fond l’Elysée comme le dit Dominique Moïsi.

Au milieu des années 2010, Netflix heurte de plein fouet l’offre française en proposant son système de très grande distribution de séries.

La création originale : premier pari

Dès 2007, quand Netflix lance son service de streaming aux États-Unis, il est tout de suite question de distancer les premiers concurrents – notamment les chaînes telles HBO – qui a diffusé la fameuse série Games of Thrones en 2011 – ou NBC. Netflix développe alors une offre audacieuse, avec des histoires complexes, des personnages forts (Carrie dans Homeland, Piper dans Orange is the new black…), une production soignée. Il s’agit de conquérir le marché, et l’innovation fait partie de sa stratégie pour devancer la concurrence.

Dès 2010, des accords sont passés avec les studios Paramount, Lionsgate et aussi la Metro Goldwyn Mayer, pour assurer une certaine qualité et une plus grande diversité à la programmation.



Read more:
Les séries et la guerre des récits : retour sur le soft power des plateformes

En 2013, Reed Hastings -cofondateur et directeur de Netflix – décide de produire des créations originales. House of Cards et Orange is the new Black seront ces premières offres made by Netflix, et leur succès confirmeront la pertinence du choix stratégique de la plate-forme.

Les créations originales deviennent dès lors un axe fondamental pour Netflix. Entre 2017 et 2018, elles augmentent de 88 % et représentent plus de 5000 programmes. C’est d’ailleurs cette même année que la plate-forme s’offre son premier grand studio de production à Albuquerque.

La création originale a donc fait la marque Netflix qui se lance avec des stars – côté réalisation comme dans les castings – et du budget ; ce virage de simple diffuseur à producteur est essentiel et Netflix arrive à attirer, entre autres, Martin Scorsese ou Bong Joo-Ho. Avec Orange is the new black, les questions féministes et de genre sont mises en avant, de même que les violences sexuelles. C’est une première dans un monde audiovisuel très soumis au « male gaze » décrit par Laura Mulvey. Être audacieux et bousculer les spectateurs permet à Netflix d’asphyxier la concurrence.

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business School