Nomination du général Guerassimov à la tête des opérations en Ukraine : un tournant dans la guerre ?

L’opération russe en Ukraine a un nouveau commandant en chef, le général Guerassimov. C’est un « poids lourd » et un vétéran de l’appareil militaire russe : général d’armée de 67 ans, il est depuis 2012 à la fois premier vice-ministre de la Défense et chef d’état-major des armées (CEMA) et, à ce double titre, membre du Conseil de défense nationale.

L’Occident le connaît car il est (à tort) considéré comme le père d’une « doctrine » qui porte son nom théorisant la guerre hybride. Il figure surtout sur les listes de sanctions individuelles adoptée par l’UE en 2014 puis en 2022 en raison de sa contribution aux actions contre l’Ukraine.

Quelle est la portée de cette nouvelle nomination, non seulement sur la guerre elle-même mais sur la posture stratégique de la Russie ?

Nomination technique, geste politique ou inflexion stratégique ?

Valéri Guerassimov, qui conserve son poste de CEMA, remplace au commandement des forces armées russes en Ukraine le général Sourovikine, qui avait été nommé à ce poste le 8 octobre dernier. Pour autant, ce dernier n’est pas destitué : il est simplement rétrogradé aux fonctions d’adjoint de Guerassimov.

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Ce changement soulève de nombreuses questions en raison de son tempo, du statut du nouveau « chef de guerre » russe et de la donne stratégique. S’agit-il d’une nomination technique d’un spécialiste des opérations militaires ou bien d’un geste politique fort destiné à l’opinion internationale ? Est-ce simplement une sanction contre le général Sourovikine après la défaite à Kherson et la mort de dizaines (voire centaines) de soldats russes à Makiivka le 1er janvier ?

Plus généralement, faut-il prévoir une inflexion dans la posture stratégique russe ? La valse des commandants en chef est-elle achevée et cette nomination annonce-t-elle un durcissement supplémentaire ?

Un « poids lourd » militaire… et politique

Guerassimov a connu un parcours typique pour les militaires professionnels de la génération née dans les années 1950 : entrés dans la carrière au moment de l’apogée de l’Union soviétique dans les années 1970, ils ont accédé aux grades d’officiers supérieurs après la fin de l’URSS en 1991. Guerassimov, comme son aîné de trois ans Vladimir Poutine, a donc connu l’ivresse de l’hégémonie militaire et l’amertume de la chute stratégique de son pays.



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Tankiste de formation, il est très sensible à la dimension territoriale de la campagne russe en Ukraine : au niveau technique, sa nomination doit permettre de répondre aux difficultés rencontrées par les divisions blindées russes. Fer de lance de l’offensive de l’hiver et du printemps 2021, les unités de tanks russes ont subi de nombreux revers, du point de vue des équipements comme sur le plan tactique. Sa compétence (même ancienne) en la matière annonce sans doute une inflexion dans l’usage des blindés en Ukraine – et donc de nouvelles avancées territoriales.

Surtout, Guerassimov est un officier chevronné bien au fait du fonctionnement de l’armée aux niveaux tactique, opératif (à l’échelon de l’opération) et stratégique. Sa principale expérience tactique date de la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2000), une campagne inflexible et très meurtrière.

Plus tard, c’est en tant que CEMA qu’il a supervisé la préparation, le déploiement et la réalisation de la campagne russe en Syrie à partir de l’été 2015. En somme, à la différence du général Sourovikine, il peut se targuer d’un spectre d’expérience militaire très large, du terrain aux cercles politiques, des conflits sur le sol national aux opérations extérieures lointaines. Combinée à sa longévité au poste de CEMA et à la confiance dont celle-ci témoigne de la part de Poutine, cette carrière lui confère au sein de l’armée un prestige qui est sans équivalent, même pour le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou.

C’est donc un vétéran des…

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Auteur: Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po