Nos sensibilités à la nature ont une histoire

Pourquoi la bourgeoisie du XIXe siècle a-t-elle délaissé les parfums aux senteurs animales de musc et de civette au profit des fragrances florales ? Quel rapport avec la lutte des classes ? Comment percevait-on la pluie au XIXᵉ siècle dans les campagnes françaises ? Et parmi les météosensibles ?

Toutes ces questions, et bien d’autres, sont au cœur de l’« histoire des sensibilités » qu’Alain Corbin a déployée, en pionnier, à partir des années 1980. Avec presque trente livres, cet historien de réputation mondiale nous offre de découvrir l’évolution du rapport à l’odorat, celle des émotions suscitées par les météores (vent, pluie) ou par des éléments naturels tels que le silence, le rivage, l’herbe ou l’arbre. À cela s’ajoutent une histoire de l’ignorance et une exploration des représentations culturelles du corps, de la virilité, de la jouissance ou encore du repos — au cœur de son tout nouveau livre, Une histoire du repos (éd. Plon).

Même si l’herbe, avec la disparition du monde paysan et de sa socialité, « tend à n’être plus que spectacle de verdure », souligne Alain Corbin dans « La Fraîcheur de l’herbe », elle continue d’attirer les urbains dès les premiers beaux jours. Flickr/CC BY-NC-SA 2.0/#PhilippeCPhoto

Une véritable histoire transverse, qui démontre qu’il n’y a pas une sensibilité française à la nature, mais des sensibilités selon les classes sociales, modelées par les grands systèmes de pensée religieux, scientifiques, etc. On rouvre grands les yeux sur un paysage que l’on croyait connaître : celui de notre rapport à la nature et à notre propre nature.

Le premier jalon de cette anthropologie du sensible, Alain Corbin le pose en 1982 avec Le Miasme et la Jonquille, qui retrace l’évolution des rapports entre odorat et imaginaire social aux XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Cette longue fresque débute dans les années 1790, un peu moins d’un siècle avant les découvertes décisives de Pasteur sur les microbes (1885). Elle raconte pourquoi la peur de l’air vicié des villes, perçu comme un dangereux bouillon de miasmes putrides (d’excréments, de déchets, de charognes, etc.) par la jeune médecine hygiéniste, va engendrer l’élaboration d’un code de distinction sociale bourgeois, destiné à écarter tout à la fois la maladie, la mort, le péché, l’animalité… et le peuple.

Flairer assimile à la bête

Emporté par son art du récit savoureux, qui alterne entre citations évocatrices, scénettes et détails piquants, le…

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Auteur: Reporterre