Nous habitons un corps

Le poète et penseur martinquais Monchoachi, qui avait écrit l’an passé dans nos colonnes sur l’abbatage de statues coloniales en Martinique, nous a transmis ces réflexions sur le corps et la parole, leur entremêlement et le sort qui leur est fait dans l’environnement techno-scientifique actuel. « Car c’est dans le parler de notre langue, dans ce qu’elle dit avec le plus d’intensité, le kò, que nous atteignons notre ’pays natal’ en vue d’habiter, ainsi qu’il convient d’habiter, là où se trouve la richesse, qui n’est que belle pauvreté. »

Habiter un corps est le propre des humains. L’homme habite un corps comme une demeure où il accueille ses expériences du temps et de l’espace, et plus que tout, la parole, toutes choses qui vont lui permettre de se projeter pour s’accomplir. Cependant, tous les hommes n’ont pas, sur le même mode et avec la même intensité, ce sentiment d’habiter un corps car l’épreuve du temps, les traces dont il imprègne le corps et qui vont animer la langue, n’est pas la même pour tous.

Ainsi, nous, Antillais et Guyanais habitons un espace qui porte un passé dont la présence ne peut être reléguée, puisqu’elle marque le début des Temps modernes, et que c’est dans cet espace que l’Occident a ancré et dévoilé son projet de mainmise sur la terre entière. Cet espace que nous habitons porte donc cette empreinte particulière et déterminante, et il va continument accuser cet effluve et le propager en toutes ces vibrations. Le temps qui nous porte est aussi chargé de nos expériences propres et surtout de notre épreuve singulière s’agissant du corps.

A présent, et d’une manière générale, avec les dispositifs technico-scientifiques que déploient les temps actuels, ce sentiment d’habiter un corps qui est, nous l’avons dit, le propre des humains, ne cesse partout de se dégrader à vive allure réduisant l’homme de plus en plus à son corps organique, celui qu’il faut entretenir et soigner, requis qu’il est pour fonctionner. Mais sans habiter un corps, au sens propre, on ne peut s’accorder à quelque monde que ce soit pour y prendre rythme et y entendre résonner comme il convient les tonalités du proche et du lointain : on n’est plus que domicilié ici ou là.

Le corps : jointure et rythme de la parole créole

Or, en dépit de cette pression sans cesse accrue d’un environnement techno-scientifique avec ses multiples et séduisants affects, l’homme antillais et guyanais, en l’extrême péril, se voit comme interpellé, envahi…

La suite est à lire sur: lundi.am
Auteur: lundimatin