Nous ne nous détruirons pas

« De quels mondes rêvons-nous et quels moyens mettons-nous au service des nouveaux modes d’existence que nous désirons ? » L’article qui suit tente de répondre à cette question à partir de deux livres récents : celui de adrienne maree brown sur la justice transformatrice, We Will Not Cancel Us. And Other Dreams of Transformative Justice, (Chico (CA) : AK Press, 2020), et celui de Sara Schulman, Le conflit n’est pas une agression. Rhétorique de la souffrance, responsabilité collective et devoir de réparation, récemment traduit de l’anglais par Julia Burtin Zortea et Joséphine Gross.

La poétesse et militante féministe noire Audre Lorde nous met en garde par un slogan devenu célèbre : « les outils du maître ne détruiront jamais la maison du maître » (Lorde 1979, p. 115). Qu’est-ce qui caractérise les « outils du maître » (elle parle spécifiquement du sexisme et du racisme) ? C’est, selon Lorde, le fait qu’ils cherchent à produire une image univoque du monde. Ainsi le sexisme et le racisme créent un monde unique : celui qui profite univoquement à une « minorité dominante », les 1 %, dont l’expérience est érigée en modèle et en idéal-régulateur qui, s’il bénéfice à certain·es selon leur degré de ressemblance au modèle, nuisent à toustes. Dans un tel système, les différences doivent soit être effacées (allant des formes les plus violentes d’éradication d’ethnies entières à celles plus sournoises d’exclusion et d’oppression), soit être « tolérées ». Cette deuxième version, si elle est moins directement destructrice, n’en est pas moins néfaste, car, dit Lorde, « plaider pour la tolérance seule… c’est nier la fonction créatrice de la différence dans nos vies. On ne doit pas tolérer les différences : on doit plutôt les envisager comme un réservoir de polarités nécessaires entre lesquelles peut jaillir notre créativité telle un faisceau de lumière. C’est alors seulement que le besoin d’interdépendance n’effraie plus. » (p. 116).

La récente traduction en français de Conflict Is Not Abuse (« le conflit n’est pas une agression ») de l’écrivaine et militante queer Sara Schulman fournit une occasion pour repenser les suggestions puissantes d’Audre Lorde. Conflict Is Not Abuse est un examen, à grande échelle comparative (parfois au point de donner le tournis, mais l’autrice l’assume pleinement) de la manière dont les groupes ou les personnes détentrices du pouvoir dans une interaction convertissent souvent…

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Auteur: lundimatin