« Nous vivons de plus en plus dans un cocon numérique »

Aurélien Berlan se présente comme philosophe-jardinier ; il partage son temps entre traduction, enseignement précaire à l’université, activités vivrières et engagements politiques. Il a publié récemment Terre et liberté, la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance. Un essai revigorant qui critique les bases philosophiques de la modernité.


Reporterre — Dans votre nouveau livre, vous écrivez que la conception moderne de la liberté est faussée et qu’elle nous conduit au désastre, pourquoi ?

Aurélien Berlan — Quand on réfléchit à la conception moderne de la liberté, on pense d’abord à son versant institutionnel et intellectuel : l’aspiration à la démocratie, la liberté de conscience, l’inviolabilité de la vie privée… Mais derrière cette vitrine, la liberté moderne a aussi un versant matériel qui est rarement mis en avant. Pourtant, il est implicitement présent dans la plupart des théories et est au cœur du sens commun. La liberté est associée, aujourd’hui, au fait d’être délivré des « nécessités » de la vie quotidienne, c’est-à-dire d’un certain nombre de tâches relatives à notre subsistance.

Dans ce cadre, être libre, c’est ne plus être astreint à toute une série d’activités jugées pénibles ou ennuyeuses : produire sa nourriture, se procurer de quoi se chauffer, faire la cuisine, le ménage, la lessive, s’occuper des personnes dépendantes qui nous entourent, construire et entretenir son habitat, etc. On n’est vraiment libre que lorsque l’on est libéré de ce fardeau. Vu que l’on ne veut pas faire ces tâches soi-même, mais que l’on ne peut pas pour autant se passer des biens qu’elles procurent, on s’en décharge sur les épaules d’autrui. On délègue, on se déleste, on fait faire. Or, ce geste a des implications sociopolitiques et écologiques délétères.

Lesquelles ?

La quête de délivrance conduit à la séparation entre production et consommation. Comme le disait André Gorz, nous vivons dans une société de consommateurs salariés qui « ne produisent rien de ce qu’ils consomment et ne consomment rien de ce qu’ils produisent ». Une telle organisation sociale fait que les consommateurs ne voient plus les nuisances écologiques liées à la production des biens qu’ils achètent, et elle nourrit en outre une forme de démesure. Quand on fait les choses par soi-même, on est conduit à limiter ses besoins. Car le premier besoin est de ne pas perdre sa vie à travailler pour satisfaire des désirs illimités. En…

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Auteur: Gaspard d’Allens (Reporterre) Reporterre