NTBLR [3/ ?]

Sous la semelle de ma chaussure, le sol colle comme une flaque de miel, mais un miel qui pue sa race. Les poubelles près des bancs dégueulent de canettes de bière trop fortes et, près des quelques touffes de végétation, des boîtes de kebabs en polystyrène orangés se laissent griffer par les branches. C’est le matin. C’est toujours le matin que je passe par là, le soir je coupe ailleurs un peu plus haut, mais le matin je passe sous les arbres qui pèguent sous la semelle de mes godasses. Tous les matins ça pègue et quand ça ne pègue pas, ça glisse à cause de la pluie. Tous les matins ça pègue ou ça glisse : c’est ça mon lot quotidien. Je me lève, je bois mon café, je mets mes godasses et je sors pour que le sol vienne péguer ou glisser sous mes semelles.

Sur l’esplanade le matin c’est désert, c’est froid et c’est trop grand comme toutes les places construites pour y faire tenir un régiment de connards. C’est Pépèrodin qui racontait cette histoire, avant, quand on le suivait toustes dans ses mouvements de vestes noires en écoutant bien fort parce qu’il gueulait en chuchotant le salaud, la mâchoire en train de branler son chewing-gum nicorette et le corps qui filait à toute vitesse. Il racontait que les places comme ça, les places pavées ça avait été pensé parce qu’il fallait bien un endroit pour faire tenir un régiment. Il n’avait pas dû dire « un régiment de connards », c’est un ajout de ma part. Il avait juste dû dire « un régiment », mais avec un sourire ou tu sais très bien de quoi je veux parler, un sourire qui veut dire « un régiment de connards », mais qui le dit pas parce que bon c’est gratuit d’insulter, ça s’fait pas en vrai, on en sait rien si c’est des connards ou pas. Moi je me dis que c’est drôle d’avoir pensé une place comme ça, une place à régiment de connards, en lui laissant quand même des bancs et un petit jardin pour les punkachs et leurs bières. Des bières avec des chiffres aberrants écrit en gras dessus tellement grand et tellement gras que tu sais finalement pas bien pourquoi c’était si important de l’écrire si grand et si gras. En fait tu le sais, enfin tu t’en doutes, parce que toi aussi t’as été client de ce genre de traquenards, toi aussi t’as cherché en grattant dans ta poche le glinggling des pépettes pour savoir si — rapport défonce/prix — t’allais t’y retrouver. Tu comprends le délire, c’est plus facile à repérer quant au lieu de « bière blonde d’abbaye » ou « petite ipa pas piquée des vers » y’a juste écrit « 11 degrés 6 » : c’est…

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Auteur: lundimatin