O.K. Corral

« Je suis assez ignorante, mais je suis certaine d’une chose, c’est qu’une œuvre d’art ne peut pas être un règlement de comptes, ou alors ce n’est pas une œuvre d’art »… C’est ainsi que, dans Domicile Conjugal, Christine Darbon met en garde Antoine Doinel quand à la rédaction du roman autobiographique sur lequel il travaille. Par la bouche de son héroïne, c’est François Truffaut qui parle. Le cinéaste l’a dit sous différentes formes dans ses films ou ses écrits : pour lui l’art est affaire de morale.

Rivette ne parlait pas d’autre chose à propos du fameux travelling du film de Pontecorvo : « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés : l’homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris. » On sait par ailleurs que cet article de Jacques Rivette intitulé « De l’abjection » a beaucoup compté dans le dispositif monté par Claude Lanzmann pour donner naissance à son œuvre majeure « Shoah ». Autrement dit, dans quelle posture de cinéaste doit-on se mettre pour représenter l’irreprésentable : l’horreur des camps ?

J’ai repensé à tout cela en entendant l’autre jour sur France Inter, Arnaud Desplechin présenter son dernier film Frère et Sœur. Il y parlait de la mort d’un enfant, celui de Louis, le « frère » du film, et évoquait comme source d’inspiration la mort du fils de Claude Lanzmann qui, disait-il, était son ami. Est-ce l’association immédiate Lanzmann/Rivette, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ce que je venais d’entendre était « abject » ?

La vie de tout cinéaste qui, pour reprendre les mots de l’ignorante Christine veut faire « une œuvre d’art », est évidemment traversée par son intimité. Truffaut et Rivette en sont de parfaits exemples. Pas un de leurs films qui ne renvoie à eux-mêmes. Faire un film qui vous ressemble, c’est un peu la moindre des choses et c’est le plaisir d’une œuvre que chaque nouveau rendez-vous nous en apprenne un peu plus sur son auteur. Cependant, la manière n’est pas indifférente. Si Arnaud Desplechin avait évoqué des moments douloureux qu’il avait lui-même traversés et qui lui avait inspiré la scène de la mort de l’enfant, je ne serai pas en train d’écrire ces lignes. Mais pourquoi citer Claude Lanzmann ? Parce que c’est un ami ? Mais alors, c’est…

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Auteur: lundimatin