O. Roy : « L’insistance sur l’identité, qui à la fin se ramène à la question de « mon » identité individuelle, casse la mobilisation collective »

Philosophe, politiste, Olivier Roy signe « L’Aplatissement du monde. La crise de la culture et l’empire des normes » (Le Seuil, 2022). Loin de valider tout « choc des civilisations » ou même de « bataille culturelle », il propose une réflexion exigeante et stimulante sur la notion de « culture » qu’il considère en crise.

 

  • Chronik – Alors que nos sociétés sont mises sous tension par une violente « bataille culturelle » sur fond d’un rappel à l’ordre réactionnaire, votre essai propose une réflexion sur l’idée même de culture. Pouvez-vous revenir sur le sens de cette notion omniprésente, mais largement indéfinie ? En quoi assiste-t-on, à travers une inflation de normes, à une crise de la notion de culture ?

O. Roy – Tout le monde parle de culture et d’identité aujourd’hui, comme si les deux étaient liées. Or ma thèse est que la soudaine percée du thème de l’identité (collective ou individuelle) est le résultat d’une crise de la notion même de culture. J’entends culture en deux sens : la culture anthropologie qui fait que l’on partage dans une société donnée un certain nombre de choses implicites (langue, « body language », expression des émotions, goûts culinaires, rapport à la nature, etc.) même si on s’oppose sur les valeurs ; à cela s’ajoute la « haute culture », un corpus artistique et littéraire censé être construit par sélection et enseigné, dont le lieu de constitution et de préservation est, dans nos sociétés, l’université (sans oublier les lieux de circulation comme les musées ou les théâtres). Or ces deux « cultures » sont en crise profonde. C’est d’abord la perte de l’implicite : tout doit être verbalisé et normé. L’inflation des normes est évidente : que chacun considère les lois, décrets, règlements intérieurs, contrats et attestations qui concernent tant les institutions où l’on travaille que la vie quotidienne ; en vingt ans la normativité à fait un bond considérable. On passe de la culture au code c’est-à-dire que chaque signe, mot, idée, geste doit avoir un sens univoque et explicite. La « haute culture » a été elle laminée non par les « déconstructionnistes », mais par le néo-libéralisme qui promeut une recherche de l’ « excellence » fondée non sur un contenu, mais sur des pratiques. Mais du côté progressiste, cette haute culture se voit soumise à une grille normative qui ignore toute contextualisation au profit d’un jugement moral atemporel…

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Auteur: Nabli Béligh