« On est oubliées » : les femmes antillaises, victimes invisibles du chlordécone

Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe), reportage

Le vent chaud rappelle l’époque. Celle où les rafales charriaient les vapeurs de chlordécone bien au fond de leurs poumons. « Quand ça soufflait comme ça, c’était mauvais. Les hommes portaient les bananes, mais nous, les femmes, on dispersait le chlordécone au sol avec des petits gants de rien du tout. On était bien plus exposées qu’eux. » Marie-Anne Georges a travaillé près de la moitié de sa vie dans la bananeraie Bois-Debout, à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe. À 70 ans, elle a eu deux cancers, tous liés à ce pesticide. Mais comme beaucoup d’autres ouvrières agricoles, ses pathologies n’ont jamais été reconnues. « On nous a oubliées », souffle Donate Obertan, une ancienne collègue de 67 ans.

En décembre dernier pourtant, le cancer de la prostate lié à l’exposition aux pesticides a été reconnu comme maladie professionnelle. Mais pas les pathologies touchant les femmes. « C’est bien pour les hommes, dit Donate Obertan. Mais les maladies qu’on se traîne doivent aussi être indemnisées. »

À ses côtés, Marcelle-Anne Marguerite, âgée de 79 ans, plussoie : « On m’a enlevé le sein gauche, et beaucoup d’autres ont eu le cancer du sein. C’est le chlordécone qui nous a empoisonnées. » Cet après-midi, le soleil tape. Non loin de leur ancien lieu de labeur, à l’ombre de quelques bananiers dénudés, les trois femmes racontent leur invisibilité.

Marie-Anne Georges ( à g.), Marcelle-Anne Marguerite et Donate Obertan. © Romuald Gadegbeku/Reporterre

« Ce poison est dans mon corps depuis longtemps »

Dans les plantations, hier comme aujourd’hui, les hommes s’occupent des tâches les plus physiques. Les femmes, elles, restent plus longtemps sur la parcelle, principalement à l’épandage, où elles ont le nez dans le pesticide. La main recouverte d’un gant fin plonge dans le seau, puis asperge la parcelle à l’aide du chlordécone. À l’époque, ce produit est utilisé pour venir à bout du charançon, un insecte qui détruisait les récoltes. « Quand il y avait de l’eau, on pouvait se laver les mains, mais la plupart du temps on prenait notre pause déjeuner sans se les laver », rembobine Marie-Anne, en mimant ces gestes.

Elles sont aussi chargées de nettoyer la parcelle. « Avec un sac, on devait ramasser les ficelles dispersées partout sur la terre labourée », relate Donate. Les journées s’allongent. Et l’exposition au pesticide avec : jusqu’à 18 h 30, quand la majorité des hommes quittent…

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Auteur: Romuald Gadegbeku Reporterre