Pacifiction : des couchers de soleil romantiques à l'apocalypse nucléaire — Rosa LLORENS

L’intérêt du Catalan Albert Serra pour la culture française et son Histoire n’est pas nouveau ; mais, cette fois, il s’agit d’histoire contemporaine et même brûlante : les essais nucléaires français en Polynésie. Ce n’est pas un film engagé, sa facture est trop poétique ; mais il pose un problème que le contexte guerrier rend encore plus actuel.

En prenant possession pour le Roi de France d’Otaïti, Bougainville semblait promettre à cette île un bel avenir littéraire, puisque son Voyage autour du monde, publié en 1771, suscita une réponse célèbre de Diderot : le Supplément au Voyage de Bougainville ; pourtant, Tahiti n’inspirera guère les écrivains français, à l’exception du grand voyageur Pierre Loti, qui tire de son séjour une œuvre plus ou moins autobiographique, Le roman de Loti (1879). Mais c’est un peintre, Gauguin, qui fixera le mythe de Tahiti, tandis qu’au cinéma, Murnau, dans Tabou (1931), donne d’une autre île, Bora Bora, une vision sublime.

Serra ne cherche pas à rivaliser avec ses prédécesseurs ; certes, Pacifiction offre au spectateur plus de confort que la plupart de ses films (dans Liberté, par exemple, on en est souvent réduit à essayer de deviner la nature des ombres qu’on entrevoit sur l’écran) : on voit même des paysages magnifiques, mais ils sont toujours filmés avec une certaine distance, comme lorsqu’il montre, au milieu de toute une flottille de sportifs ou de curieux, les rouleaux qu’affrontent les surfeurs, ou comme lorsque le héros commente avec pédanterie les images de l’océan vues depuis son avion : « Regarde comme c’est beau, ces dégradés de bleu ». Son but n’est en effet pas d’exploiter le pittoresque polynésien : lorsqu’on voit les rouleaux, et qu’on entend leur vacarme, on pense à des forces naturelles que les hommes croient avoir apprivoisées, mais qui peuvent à tout moment échapper à leur contrôle ; lorsqu’on voit un coucher de soleil derrière les montagnes, qui sont d’anciens volcans, le rouge du ciel fait penser à l’embrasement nucléaire.

C’est ainsi, en créant une atmosphère envoûtante et angoissante, que Serra pose son sujet, après quoi, il suffit d’une phrase du Haut Commissaire de Roller pour le définir : « Selon des rumeurs qui circulent, la France reprendrait ses essais nucléaires en Polynésie ».

Curieux que ce problème n’intéresse pas des cinéastes français (en dehors des auteurs de documentaires – comme Tropique du Cancer, de Sophie Bontemps -, dont on peut voir la…

La suite est à lire sur: www.legrandsoir.info
Auteur: Rosa LLORENS Le grand soir